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L’excès dans la dissimulation des femmes

dimanche 16 mars 2003

Question

Les savants ont divergé au sujet du niqâb [1]. Les uns pensent que la femme musulmane doit le porter, en ce sens qu’elle doit se dissimuler des regards de sorte qu’elle ne voie pas et qu’elle ne soit pas vue. D’autres savants pensent que ce n’est pas une obligation de le porter. Quelle est l’opinion correcte ?

Réponse du Docteur Yûsuf `Abd Allâh Al-Qaradâwî

Louanges à Dieu et paix et bénédiction sur le Messager de Dieu.

La société islamique est une société qui se fonde - après la croyance en Dieu et au Jour dernier - sur la préservation de la vertu, de la pureté et de la chasteté dans les relations entre l’homme et la femme. Cette société combat l’indécence, la déliquescence des mœurs et la poursuite des instincts concupiscents.

Pour ce faire, la législation islamique a décidé d’obstruer la voie à tout prétexte menant à la corruption des mœurs [2] et de fermer les portes par lesquelles s’engouffrent les tempêtes de la tentation, comme par exemple l’isolement d’un homme avec une femme (khulwah) ou l’ornement excessif de la femme (tabarruj). La législation islamique se fonde par ailleurs sur la facilité, non pas sur l’embarras et la difficulté. Elle rend ainsi licite ce dont la licéité est nécessaire pour répondre aux besoins de la vie quotidienne et aux affaires des gens. La femme peut par exemple laisser apparaître les ornements qu’elle ne peut dissimuler, tout en sachant que les hommes, aussi bien que les femmes, sont tenus de rabattre de leur regard et de rester chastes : « Dis aux Croyants de rabattre de leurs regards et de garder leur chasteté. C’est plus pur pour eux. » [3] ; « Et dis aux Croyantes de rabattre de leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ; » [4].

Les exégètes ont rapporté au sujet d’Ibn `Abbâs qu’il dit que l’expression « et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît » concerne les mains, la bague et le visage. Ibn `Umar dit, quant à lui, que cette phrase se rapporte au visage et aux mains. Selon Anas, elle concernerait les mains et la bague. Ibn Hazm conclut : « Tous ces avis sont on ne peut plus justes, et ils sont corroborés par ce qu’ont dit `Â’ishah et les Successeurs [5]. »

À cause de la divergence dans l’interprétation de l’expression « ce qui en paraît », les savants ont divergé sur la délimitation de la partie du corps de la femme que celle-ci doit couvrir (i.e. la `awrah). Cette divergence a été recensée par Ash-Shawkânî dans Nayl Al-Awtâr.

Les uns pensent que tout le corps de la femme, excepté le visage et les mains, doit être couvert. C’est l’opinion d’Al-Hâdî, d’Al-Qâsim (dans l’un de ses avis), de Abû Hanîfah (dans l’une des deux versions rapportées de sa part) et de Mâlik. D’autres savants font exception du visage, des mains, des pieds et du bracelet de chevilles (khalkhâl). C’est l’opinion d’Al-Qâsim (dans l’un de ses avis), de Abû Hanîfah (dans l’une des versions rapportées de sa part), d’Ath-Thawrî et de Abû Al-`Abbâs.
Certains pensent en revanche que tout le corps de la femme doit être couvert, sauf le visage. C’est l’opinion de Ahmad Ibn Hambal et de Dâwûd.

Le visage ne fait pas partie de ce qui doit être caché

Nul n’a dit que le visage doit être caché, exception faite d’une version rapportée selon Ahmad - version qui soit dit en passant n’est pas la plus reconnue - et de ce qu’ont dit certains Shaféites.

Ce qu’indiquent les textes et les traditions, c’est que le visage et les mains ne sont pas des parties à couvrir. C’est ce qui a été rapporté d’après Ibn `Abbâs, Ibn `Umar et autres Compagnons ainsi que d’après les Successeurs [4] et les savants. Ibn Hazm - qui est un littéraliste s’attachant à considérer littéralement les textes - s’est appuyé sur le passage coranique suivant « et qu’elles rabattent leur voile » pour montrer qu’il était licite à la femme de montrer son visage. En effet, l’ordre concerne le rabattement du voile sur la poitrine, non sur le visage. Ibn Hazm s’appuie également sur le hadith rapporté par Al-Bukhârî, d’après Ibn `Abbâs qui raconte avoir assisté à un Aïd [6] avec le Messager de Dieu - paix et bénédiction sur lui. Ce dernier fit un sermon après la prière puis se dirigea vers les femmes, en compagnie de Bilâl. Il leur prodigua des conseils, leur rappela leurs devoirs envers Dieu et leur ordonna de pratiquer la charité. Ibn `Abbâs ajoute : « Je les vis tendre la main vers Bilâl et remplir sa tunique d’argent. » Ibn Hazm conclut : « Voici Ibn `Abbâs, en présence du Messager de Dieu - paix et bénédiction sur lui - qui a vu les mains de ces femmes, ce qui prouve que la main de la femme n’a pas à être cachée. »

Les deux Sheikhs [7] et d’autres compilateurs de hadiths ont également rapporté d’après Ibn `Abbâs qu’une femme de la tribu de Khath`am vint poser une question au Messager de Dieu - paix et bénédiction sur lui - lors du Pèlerinage d’Adieu [8]. Al-Fadl Ibn Al-`Abbâs [9] montait alors en croupe avec le Messager de Dieu - paix et bénédiction sur lui. Le Prophète tourna la tête d’Al-Fadl. Al-`Abbâs demanda : « Ô Messager de Dieu, pourquoi as-tu tourné la tête de ton cousin ? » Le Prophète répondit : « J’ai vu un jeune homme et une jeune femme. J’ai craint pour eux une ruse du Diable. » Dans une autre version du hadith : « J’ai craint pour eux la séduction. »

Les savants du Hadith et les juristes ont déduit de ce hadith qu’il est licite pour un homme de regarder une femme s’il n’y a pas de risque de séduction. Le Prophète - paix et bénédiction sur lui - ne demanda nullement à la femme de se couvrir le visage. Et si son visage était déjà couvert, Ibn `Abbâs n’aurait pas su si elle était belle ou laide. Ces savants ajoutent : « Si Al-`Abbâs n’avait pas compris que regarder une femme était licite, il n’aurait pas posé sa question au Prophète - paix et bénédiction sur lui. Et si sa compréhension n’avait pas été juste, le Prophète l’aurait rectifiée. »

Cet événement eut lieu incontestablement après la révélation du verset du voile. En effet, le Pèlerinage d’Adieu eut lieu en l’an 10 alors que le verset du voile fut révélé en l’an 5.

Que signifie « rabattre de son regard » ?

Le rabattement du regard que Dieu nous a ordonné ne consiste pas à refermer les yeux, ou à baisser la tête, de sorte que l’individu ne puisse voir personne. Cela est hors de propos. Le rabattement du regard signifie son contrôle afin de ne pas le promener vers des images séductrices et excitantes. On comprend à ce niveau le secret de la tournure coranique qui demande de rabattre de son regard mais non de rabattre le regard. L’homme peut ainsi regarder les parties du corps de la femme qui ne sont pas à cacher, pour autant que cela se fasse sans désir particulier. Si l’homme regarde la femme avec convoitise et qu’il craint pour lui-même la séduction, alors l’avis selon lequel il lui est interdit de regarder la femme devient valable, afin d’obstruer la voie aux prétextes.

Le même traitement s’applique à la femme. Elle peut regarder - avec décence et pudeur - les parties du corps de l’homme qui ne sont pas à cacher. Ahmad entre autres rapporte d’après `Â’ishah que les Abyssins étaient venus présenter leurs jeux chez le Messager de Dieu un jour de Fête. `Â’ishah dit : « Je les regardai par-dessus son épaule. Il (le Prophète) se baissa alors un peu et je pus ainsi les observer par-dessus son épaule jusqu’à m’en être ennuyée. Puis je partis. »

Certains Shaféites sont d’avis qu’il est interdit à l’homme de voir une femme et à une femme de voir un homme. Ils se sont appuyés sur ce qu’a rapporté At-Tirmidhî d’après Umm Salamah et Maymûnah - les épouses du Prophète - selon qui le Messager de Dieu leur ordonna de se voiler devant `Abd Allâh Ibn Umm Maktûm. Elles demandèrent : « Mais n’est-il pas aveugle, ne nous voyant pas ? » Le Prophète leur répondit : « Et vous, êtes-vous aveugles ? Ne le voyez-vous pas ? »

Ces Shaféites qui ont émis cet avis ne tirent, à vrai dire, aucune preuve de ce hadith. Ce hadith n’a en effet pas été épargné de la récusation, tant sur sa chaîne de transmission que sur sa portée. Aussi conciliant qu’on puisse être avec lui, son authenticité ne saurait atteindre celle des hadiths rapportés dans les deux Sahîh [10], lesquels hadiths impliquent qu’il est licite pour un homme de regarder une femme et réciproquement. Parmi ces hadiths authentiques, on peut citer celui de Fâtimah Bint Qays à qui le Messager ordonna de passer sa période de viduité (`iddah) chez Umm Maktûm. Il lui précisa : « Il (`Abd Allâh Ibn Umm Maktûm) est aveugle et tu peux te dévoiler devant lui. »

Al-Hâfidh Ibn Hajar a dit : « L’ordre de se voiler devant Ibn Umm Maktûm s’explique sans doute par le fait qu’étant aveugle, les parties cachées de son corps pourraient se découvrir sans qu’il n’en prenne conscience. La plupart des Arabes n’avaient en effet pas l’habitude de porter des caleçons. »

Abû Dâwûd a considéré que le hadith de Umm Salamah et de Maymûnah ne concernait que les épouses du Prophète - paix et bénédiction sur lui - tandis que le hadith de Fâtimah Bint Qays et ce qui en découle s’applique aux femmes du commun. Ibn Hajar entre autres a trouvé cette explication judicieuse. Et c’est l’opinion vers laquelle nous inclinons. En effet, les femmes du Prophète - paix et bénédiction sur lui - avaient un statut particulier, dans la mesure où Dieu doubla le châtiment de celles, parmi elles, qui en viendraient à commettre une turpitude et dans la mesure où Il doubla également la récompense de celles, parmi elles, qui feraient de bonnes œuvres. Le Coran dit : « Ô femmes du Prophète ! Vous n’êtes comparables à aucune autre femme. » [11]. Dieu leur assigna des directives spécifiques à cause de leur statut et de leur qualité de Mères spirituelles des Croyants. Ces directives font en partie l’objet du discours de la sourate "Les Coalisés", Al-Ahzâb.

La coutume du voile (hijâb)

Quant à l’excès dans la dissimulation des femmes, excès qu’on a pu rencontrer dans certains environnements et à certaines époques islamiques, il relève des codes sociétaux inventés pour prévenir toute corruption des mœurs et obstruer la voie aux prétextes. C’est du moins ce que ces sociétés pensaient, bien qu’il ne s’agisse nullement d’un commandement islamique.

Les Musulmans ont consensuellement approuvé que les femmes puissent se rendre dans les mosquées avec le visage et les mains dévoilés - à condition que les rangs des femmes soient derrière les rangs des hommes - ainsi que d’assister aux cercles d’enseignement.

Par ailleurs, on sait, d’après l’histoire des guerres et des expéditions militaires, que les femmes voyageaient avec les hommes jusques aux champs de batailles, afin de soigner les blessés et de porter l’eau aux combattants. On a rapporté que les femmes des Compagnons ont même aidé les hommes lors de la bataille d’Al-Yarmûk [12].

Par ailleurs, les savants sont consensuellement d’accord pour dire que les femmes en état de sacralisation rituelle (ihrâm) lors du pèlerinage majeur (hajj) ou mineur (`umrah) doivent se dévoiler le visage pendant la circumambulation (tawâf), la course (sa`y) entre les collines de Safâ et de Marwâ, la station à `Arafah (wuqûf bi-`Arafah), la lapidation de Satan (ramy al-jimâr), etc. La grande majorité de ces savants sont même allés jusqu’à interdire à la femme de se voiler le visage - avec une burka par exemple - en raison du hadith suivant : « La femme en état de sacralisation rituelle ne doit ni se couvrir le visage ni porter des gants. »

Parmi les avis juridiques (fatâwâ) les plus judicieux, on peut citer celui du juriste hambalite Ibn `Aqîl. On lui demanda si la femme devait se découvrir le visage lorsqu’elle était en état de sacralisation rituelle - prenant en compte l’étendue de la corruption contemporaine des mœurs.

Il répondit : « Le dévoilement du visage est l’expression extérieure de son état de sacralisation rituelle. Annuler une directive religieuse légalement prouvée sous prétexte de circonstances particulières ne saurait être accepté. Cela signifierait l’abrogation des directives religieuses par des événements occasionnels, ce qui mène à terme à abroger toute la Législation. La Législation ordonne à la femme de se dévoiler et ordonne à l’homme de rabattre de son regard, afin que l’épreuve de la séduction en devienne plus difficile lors du pèlerinage. De manière similaire, en état de sacralisation rituelle, le gibier devient à portée des mains alors qu’il est interdit de le chasser. » (rapporté par Ibn Al-Qayyim dans Badâ’i` Al-Fawâ’id).

Et Dieu est le plus Savant.

P.-S.

Traduit de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

On pourra également consulter l’article suivant : "Le visage n’est pas une `awrah".

Notes

[1Le niqâb est un vêtement recouvrant tout le corps de la femme, visage et mains compris.

[2L’obstruction aux prétextes appelé en arabe sadd adh-dharâ’i` est l’un des principes de la législation islamique.

[3Sourate 24 intitulée la Lumière, An-Nûr, verset 30.

[4Sourate 24 intitulée La Lumière, An-Nûr, verset 31.

[5Les Successeurs - en arabe : at-tâbi`ûn - sont la génération suivant celle des Compagnons.

[6Les musulmans fêtent deux aïd : le petit aïd ou aïd al-fitr marque la fin du jeûne de ramadan ; le grand aïd, aussi appelé aïd al-adhâ ou l’aïd al-Kebîr a lieu le dixième jour du pèlerinage après la descente des pèlerins du Mont `Arafât, un mouton est alors offert en sacrifice en commémoration du sacrifice d’Abraham.

[7Ce terme désigne Al-Bukhârî et Muslim.

[8Le Pèlerinage d’Adieu est le premier et le dernier pèlerinage jamais accompli par le Prophète depuis l’avènement de l’Islam. Il eut lieu au mois de Dhul-Hijjah de l’an 10 de l’Hégire, soit quelque trois mois avant la mort du Prophète.

[9Al-Fadl Ibn Al-`Abbâs est le cousin du Prophète. Il est en outre le frère de `Abd Allâh Ibn `Abbâs, dit Ibn `Abbâs.

[10Les deux Sahîh désignent le Sahîh d’Al-Bukhârî et le Sahîh de Muslim.

[11Sourate 33 intitulée les Coalisés, Al-Ahzâb, verset 32.

[12La bataille d’Al-Yarmûk (an 15) a opposé l’armée musulmane à l’armée byzantine. L’armée musulmane était alors sous les ordres de Khâlid Ibn Al-Walîd. Ce fut une retentissante victoire musulmane contre un ennemi six fois plus nombreux.

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