Français | عربي | English

Accueil > Banque de Fatwâ > Droit musulman > Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî > La couverture et le pardon dans les affaires pénales

La couverture et le pardon dans les affaires pénales

mercredi 25 septembre 2002

Question

En ce qui concerne l’application des sanctions pénales, quel est le comportement originel : la couverture et le pardon du crime ou bien sa divulgation au grand jour ?

Réponse du Docteur Yûsuf Al-Qaradâwî

Louanges à Dieu et paix et bénédiction sur le Messager de Dieu.

Je voudrais attirer l’attention sur une réalité importante concernant les sanctions pénales, à savoir que l’Islam ne se précipite pas derrière leur application coûte que coûte. Il n’a pas hâte non plus que les peines encourues soient exécutées contre ceux qui les mériteraient. Il ne met pas non plus en place des systèmes de surveillance des pécheurs. Il ne leur dissimule pas de « caméras » pour les filmer alors qu’ils sont en train de commettre leurs crimes. Il ne mobilise pas non plus la police ou les renseignements généraux afin d’espionner les gens qui se conduisent de manière illégale et les arrêter en flagrant délit !

Au contraire, les préceptes islamiques sont très fermes par rapport à la protection de la vie privée des individus considérée comme sacrée. Ces préceptes interdisent strictement de les espionner et de scruter leurs travers. Ces préceptes sont aussi bien valables pour les individus que pour les autorités.

Al-Hâkim rapporte d’après `Abd Ar-Rahmân Ibn `Awf que ce dernier était de garde à Médine, une nuit, avec `Umar. Alors qu’ils marchaient, ils aperçurent une lueur dans une maison. Ils se dirigèrent alors vers l’habitation et arrivèrent à proximité. Ils trouvèrent la porte refermée sur un groupe de gens qui y parlaient de vive voix. `Umar, saisissant la main de `Abd Ar-Rahmân, dit : « Sais-tu à qui appartient cette maison ? » `Abd Ar-Rahmân dit : « Non. » `Umar reprit : « C’est la maison de Rabî`ah Ibn Umayyah Ibn Khalaf, et ils sont en train de se saoûler. Qu’en penses-tu ? » `Abd Ar-Rahmân dit : « Je pense que nous avons commis ce que Dieu nous a interdit. Dieu nous a dit en effet : « Et n’espionnez pas » [1]. Or voilà que nous venons d’espionner. » `Umar s’en alla alors et les laissa. (rapporté par Al-Hâkim dans Al-Mustadrak, 4/377 ; Al-Hâkim juge cette tradition authentique et il est appuyé par Adh-Dhahabî).

Abû Dâwûd et Al-Hâkim rapportent également d’après Zayd Ibn Wahb : « Un homme vint trouver Ibn Mas`ûd, lui disant : « Que vas-tu faire d’Al-Walîd Ibn `Uqbah, dont la barbe est trempée de vin ? » Ibn Mas`ûd répondit : « Le Messager de Dieu, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui, nous a interdit l’espionnage. Si Al-Walîd vient à nous dans la situation que tu nous as décrite, nous le punirons. » » (rapporté et authentifié par Al-Hâkim, 4/377 ; Adh-Dhahabî s’est abstenu ; rapporté par Abû Dâwûd dans le chapitre des bonnes manières, 4890).

On rapporte encore d’après quatre Compagnons (Jubayr Ibn Nufayr, Kathîr Ibn Murrah, Al-Miqdâm Ibn Ma`add Yakrub et Abû Umâmah Al-Bâhilî), que Dieu les agrée, que le Prophète, paix et bénédiction sur lui, dit : « Si le gouverneur institue la suspicion parmi les gens, il les pervertit. » (rapporté par Abû Dâwûd dans le chapitre des bonnes manières, 4889, ainsi que par Al-Hâkim, 4/378 ; Al-Hâkim et Adh-Dhahabî n’ont pas donné leur avis sur la qualité de cette tradition, mentionnée par ailleurs dans le Sahih Al-Jâmi` As-Saghîr, 1885, et attribuée à Ahmad et à At-Tahâwî).

Nous remarquons également que les enseignements prophétiques explicites incitent énormément le Musulman à se couvrir lui-même et à couvrir autrui. D’après Ibn `Umar — que Dieu les agrée tous deux — après avoir sanctionné la transgression de Mâ`iz Al-Aslamî, le Messager de Dieu — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — dit : « Écartez-vous de cette souillure (la fornication) que Dieu a interdite. Si malgré tout l’un de vous s’y trouve impliqué, qu’il se couvre par le secret de Dieu (c’est-à-dire : qu’il en garde pour lui-même le secret, sans le divulguer) et qu’il se repente à Dieu. En effet, quiconque nous informe de son crime doit être puni conformément au Livre de Dieu. » (rapporté par Al-Hâkim qui s’est abstenu de le juger, 4/383 ; Adh-Dhahabî l’a jugé conforme aux critères des deux Imâms i.e. Al-Bukhârî et Muslim). Le Noble Messager avait en fait sanctionné Mâ`iz pour adultère, après que ce dernier fut venu à lui par quatre fois lui avouer son crime, et après que le Prophète — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — eut tenté de l’innocenter lui expliquant que les éléments nécessaires n’étaient pas réuni pour le reconnaître coupable de fornication (exception faite de son aveu). Mais Mâ`iz insista. Il en est de même pour la femme ghâmidite.

On rapporte d’après Abû Burdah que son père dit : « Nous, Compagnons de Muhammad, disions que si Mâ`iz et cette femme n’étaient pas venus la quatrième fois avouer leur péché, le Messager de Dieu, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui, ne les aurait pas fait venir pour les sanctionner. » (rapporté par Al-Hâkim, qui l’a jugé authentique selon les critères des deux Imâms, jugement corroboré par Adh-Dhahabî 4/383. Le sens du hadith est consensuellement rapporté par Ibn `Umar).

Le Messager — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — dit à Hazzâl, l’homme qui avait poussé Mâ`iz à reconnaître son crime auprès de lui : « Si tu l’avais recouvert de ta tunique, cela aurait été mieux pour toi. » (cité par Adh-Dhahabî dans le Talkhîs Al-Mustadrak, 4/385, qui l’a jugé authentique ; ce hadith a été omis de la version imprimée, mais manifestement, Al-Hâkim l’a rapporté et authentifié).

D’après Abû Hurayrah : « Le Messager de Dieu — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — a dit : « Quiconque couvre son frère musulman ici-bas sera couvert par Dieu dans l’au-delà. » » (rapporté par Abû Dâwûd dans le chapitre des hudûd [2], n° 4377 ; Al-Mundhirî l’a attibué à An-Nasâ’î ; rapporté et authentifié également par Al-Hâkim, 4/363, corroboré par Adh-Dhahabî).

Toujours d’après Abû Hurayrah : « Le Messager de Dieu, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui, a dit : « Nul humain ne couvre un autre humain ici-bas sans que Dieu ne le couvre le Jour de la Résurrection. » » (rapporté par Al-Hâkim qui le jugea authentique selon les critères des deux Imâms, et corroboré par par Adh-Dhahabî — 4/384 ). Si le hadith précédent concernait la rétribution attendue pour la couverture par un Musulman d’un autre Musulman, celui-ci est général et concerne la couverture par un être humain d’un autre être humain.

D’après Kathîr, l’allié affranchi de `Uqbah Ibn `Âmir, le Messager de Dieu — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — a dit : « Quiconque découvre un travers de quelqu’un et le couvre (c’est-à-dire : qu’il ne le divulgue pas au grand jour) est comme celui qui sauve de la mort une nouveau-née enterrée vive. » (rapporté par Abû Dâwûd dans le chapitre des bonnes manières, 4891, et par Al-Hâkim, 4/384, qui a authentifié le hadith et a été approuvé par Adh-Dhahabî).

Nous remarquons également que les préceptes islamiques sont clairs quant à l’incitation au pardon et à l’absolution. Cela concerne notamment les peines ayant trait aux droits des hommes les uns envers les autres, comme le vol par exemple, à condition que cela ne parvienne pas jusqu’au pouvoir judiciaire. Une fois que l’affaire est portée devant la justice, il n’est plus question ni de pardon ni d’intercession. C’est en ce sens qu’apparaît le hadith de `Abd Allâh Ibn `Umar : « Pardonnez-vous mutuellement les affaires entraînant des sanctions pénales. Car, ce qui est porté à ma connaissance doit être sanctionné. » (rapporté par Abû Dâwûd dans le chapitre des bonnes manières, 4376, par An-Nasâ’i au sujet de l’amputation du voleur, 4889, et par Al-Hâkim qui a authentifié le hadith, 4/383, et qui est approuvé par Adh-Dhahabî).

Ibn Mas`ûd a dit : « Je me souviens du premier homme amputé par le Messager de Dieu — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui. On lui amena un voleur et il ordonna que sa main fût tranchée. Le Messager de Dieu — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — avait l’air triste. On lui dit : « Ô Messager de Dieu, on dirait que tu détestes son amputation. » Il répondit : « Pourquoi ne la détesterais-je pas ? Ne soyez pas des alliés du diable contre votre frère. S’il parvient au dirigeant une affaire impliquant une sanction, il est dans l’obligation d’appliquer la sanction. Mais Dieu est Pardonneur et Il aime le pardon. « Qu’ils pardonnent et absolvent. N’aimez-vous pas que Dieu vous pardonne ? Et Dieu est Pardonneur et Miséricordieux ! » (sourate 24, la Lumière, verset 22) » » (rapporté et authentifié par Al-Hâkim, 4/382,383 ; Adh-Dhahabî ne s’est pas prononcé sur le hadith).

Il arrivait qu’un homme vienne trouver le Prophète — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — et lui avoue qu’il avait commis une transgression méritant une sanction. Le Prophète ne lui demandait pas quelle était cette transgression, ni comment il l’avait commise. Il considérait que son aveu, qui pourrait le conduire au châtiment prévu, constituait un repentir de son péché, et un regret pour son crime. Cet aveu était une absolution d’autant plus justifiée qu’il avait accompli la prière avec le Messager de Dieu — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui.
Abû Dâwûd rapporte en effet à propos de « Celui qui avoue avoir commis une transgression sans la nommer », d’après Abû Umâmah, qu’un homme vint trouver le Prophète — que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui — et lui dit : « Ô Messager de Dieu, j’ai commis une transgression et je voudrais que tu m’appliques le châtiment prévu. » Le Prophète demanda : « As-tu fait tes ablutions avant de venir ? » L’homme répondit : « Oui. » Le Prophète reprit : « As-tu accompli la prière avec nous ? » L’homme répondit : « Oui. » Le Prophète lui dit : « Va ! Dieu, Exalté soit-Il, t’a pardonné. » (rapporté par Muslim en version longue et en version abrégée ; rapporté par Abû Dâwûd et c’est sa version qui est reprise ici et par An-Nasâ’i ; rapporté également par les deux Imâms, Al-Bukhârî et Muslim, selon Ibn Mas`ûd).

Par conséquent, des savants parmi nos pieux prédécesseurs en ont déduit que le gouverneur ou le juge pouvaient annuler le châtiment encouru pour une transgression s’ils décèlent les signes du repentir de la part du coupable. C’est l’avis qu’a préféré le Sheikh de l’Islam Ibn Taymiyah et le savant Ibn Al-Qayyim. C’est également l’avis que je choisis lors de la légifération des peines encourues pour les hudûd (transgressions) à notre époque.

Et Dieu est certes Le plus Savant.

P.-S.

Traduit de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Sourate 49, les Appartements, Al-Hujurât, verset 12

[2Le mot Hudûd est le pluriel arabe du mot hadd qui signifie littéralement "limite". Dans le cas présent, l’acception de ce mot est à considérer dans un sens islamique qui est celui de hudûd Allâh ("limites divines"). Il s’agit en réalité des interdits divins qui, une fois transgressés par le Musulman, peuvent appeler un châtiment corporel. Ainsi l’adultère est considéré comme un hadd pouvant appelé le châtiment de la flagellation ou de la lapidation. Le vol est un hadd pouvant appeler le châtiment de l’amputation de la main. De manière générale, les hudûd correspondent aux péchés capitaux(kabâ’ir) dont le Musulman doit à tout prix s’écarter.

Répondre à cet article



Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP |
© islamophile.org 1998 - 2024. Tous droits réservés.

Toute reproduction interdite (y compris sur internet), sauf avec notre accord explicite. Usage personnel autorisé.
Les opinions exprimées sur le site islamophile.org sont celles de leurs auteurs. Exprimées dans diverses langues étrangères, ces opinions sont mises à la portée des lecteurs francophones par nos soins, à des fins d'information, de connaissance et de respect mutuels entre les différentes cultures et religions du monde.