Français | عربي | English

Accueil > Banque de Fatwâ > Droit musulman > Jamâl Al-Bannâ > Pas de sanction pour l’apostasie... La liberté de conscience est le fondement (...)

Pas de sanction pour l’apostasie... La liberté de conscience est le fondement de l’Islam

lundi 17 mars 2003

JPEG - 12.6 ko
Pr Jamâl Al-Bannâ

Le Coran fait allusion dans un certain nombre de versets à l’apostasie. Par exemple : « Et ceux parmi vous qui adjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. » (sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 217) ; « Ô les croyants ! Si vous obéissez à ceux qui ne croient pas, il vous feront retourner en arrière. Et vous redeviendrez perdants. » (sourate 3 intitulée la Famille d’Amram, Âl `Imrân, verset 149) ; « Ô les croyants ! Quiconque parmi vous apostasie de sa religion... Dieu fera alors venir un peuple qu’Il aime et qui L’aime. » (sourate 5 intitulée la Table servie, Al-Mâ’idah, verset 54) ; « Ceux qui sont revenus sur leurs pas après que le droit chemin leur a été clairement exposé, le Diable les a séduits et trompés. » (sourate 47 intitulée Muhammad, verset 25).

Il existe également d’autres versets n’ayant pas employé le verbe « apostasier » mais qui en contiennent le sens, comme par exemple : « Quiconque a renié Dieu après avoir cru... - sauf celui qui y a été contraint alors que son coeur demeure plein de la sérénité de la foi - mais ceux qui ouvrent délibérément leur coeur à la mécréance, ceux-là ont sur eux une Colère de Dieu et ils ont un châtiment terrible. » (sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, verset 106) ; « Dieu a promis à ceux d’entre vous qui ont cru et fait les bonnes œuvres qu’Il leur donnera la succession sur terre comme Il l’a donnée à ceux qui les ont précédés. Il donnera force et suprématie à leur religion qu’Il a agréée pour eux. Il leur changera leur ancienne peur en sécurité. Ils M’adorent et ne M’associent rien et celui qui mécroit par la suite, ce sont ceux-là les pervers. » (sourate 24 intitulée la Lumière, An-Nûr, verset 55).

Tous ces versets font clairement allusion à l’apostasie après l’Islam. Pourtant, aucun d’entre eux ne fait la moindre allusion à un châtiment terrestre ou à une sanction pénale que devrait subir l’apostat, contrairement à la sanction du meurtrier ou du voleur. Dans le cas présent, la sanction terrible et effrayante est la Colère de Dieu.

Cette interprétation est celle qui correspond au mieux à l’esprit même du Coran et des nombreux autres textes fondateurs. Cet esprit fonde en effet la foi et la croyance sur la conviction de l’individu et sur sa guidance sans contrainte ni pression extérieure. Il fonde la foi et la croyance sur la liberté de choix la plus totale, exprimée par le passage coranique suivant : « Quiconque le veut, qu’il croie, et quiconque le veut qu’il mécroie. » (sourate 18 intitulée la Caverne, Al-Kahf, verset 29).

En ceci - j’entends par-là ce texte explicite, ainsi que les nombreux autres versets qui ont entériné la liberté de conscience -, il y a une preuve convaincante sur la position à adopter face à l’apostat. Néanmoins, certains juristes ont négligé la portée de ces textes explicites et clairs, sous prétexte qu’il existait des preuves tirées de la Sunnah.

Exemples de positions adoptées par la jurisprudence classique face à la question de l’apostasie

Afin d’illustrer la manière dont les juristes ont traité cette question délicate, nous rapporterons ici deux opinions tirées de notre héritage jurisprudentiel ancien et contemporain.

  1. Ibn Rushd (Averroès) dit dans son livre Bidâyat Al-Mujtahid wa Nihâyat Al-Muqtasid, dans le paragraphe dédié au « jugement de l’apostat » : « Si on saisit l’apostat avant qu’il ne soit entré en guerre contre les Musulmans, alors les juristes sont communément d’avis pour dire qu’il doit être tué, conformément au hadith du Prophète : « Quiconque change sa religion, tuez-le. » » (rapporté par l’ensemble des compilateurs de hadiths sauf Muslim). Les juristes ont néanmoins divergé sur l’exécution de la femme et sur le fait de savoir si on doit lui demander la repentance ou non. La majorité de ces juristes sont d’avis que la femme doit être tuée, comme l’homme. Abû Hanîfah est cependant d’avis qu’elle n’a pas à être tuée, et qu’elle est à considérer au même titre que la mécréante d’origine. La majorité des juristes se sont appuyés dans leur avis sur la formulation générale du hadith. Certains d’entre eux se sont néanmoins fourvoyés en prétendant qu’elle devait être tuée même si elle se reconvertit à l’Islam. Quant à la demande de repentance de l’apostat, Mâlik l’exige avant l’exécution, conformément à ce qu’il a rapporté au sujet de `Umar. D’autres personnes sont d’avis que cette repentance n’est pas acceptée. Dans le cas où l’apostat entre en guerre contre les Musulmans puis que ceux-ci se saisissent de lui, alors il doit être tué par application de la hirâbah [1] et on ne lui demande pas la repentance, que la guerre qu’il a menée contre les Musulmans ait eu lieu en terre d’Islam (dâr al-islâm) ou après qu’il a rejoint la terre de guerre (dâr al-harb) [2], à moins qu’il ne se reconvertisse de lui-même à l’Islam.
  2. Le Sheikh Mahmûd Shaltût dit dans son livre Al-Islâm `Aqîdah wa Sharî`ah (L’Islam : une foi et une loi), dans le paragraphe dédié à « la sanction de l’agression de la religion par l’apostasie » : « L’agression de la religion par l’apostasie a lieu lorsqu’on renie de la religion ce qui en est nécessairement connu [3], ou lorsqu’on s’emploie à railler et à dénigrer la religion. Le Coran parle de ce crime dans le verset suivant : « Et ceux parmi vous qui adjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu : ils y demeureront éternellement. » (sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 217). Comme on le voit, ce verset ne parle pas plus que d’une annulation de toutes les bonnes actions et d’une rétribution, dans l’Au-delà, d’un Enfer éternel. »

Quant à la sanction terrestre pour ce crime, les juristes la justifient par un hadith narré par Ibn `Abbâs - que Dieu les agrée tous deux - dans lequel il dit : « Le Messager de Dieu - paix et bénédiction sur lui - dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le. » » (rapporté par l’ensemble des compilateurs de hadiths sauf Muslim).

Problèmes posés par le hadith d’Ibn `Abbâs

Si on analyse le hadith d’Ibn `Abbâs - que Dieu les agrée tous deux -, on remarque qu’il pose de multiples problèmes. En effet, concerne-t-il celui qui change sa religion parmi les Musulmans uniquement, ou bien s’étend-il également au Juif qui se christianise par exemple ?

La formulation générale du hadith englobe-t-elle aussi bien l’homme que la femme, de sorte que la femme doit également être tuée si elle apostasie, ou bien le hadith ne concerne-t-il que les hommes, la femme n’ayant pas à être tuée ?

Le Sheikh Mahmûd Shaltût explique : « Le point de vue qu’on porte sur cette question peut être modifié. On a remarqué en effet qu’un grand nombre de savants estiment que les sanctions pénales ne sont pas justifiables par les hadiths n’ayant pas bénéficié d’une large transmission (hadîth âhâd). Par ailleurs, la mécréance en elle-même ne légitime pas la mise à mort. Ce qui légitime la mise à mort, c’est l’entrée en guerre contre les Musulmans, leur agression et la volonté de les détourner de leur religion. Une étude littérale des nombreux versets du Noble Coran montre qu’il est interdit de contraindre quelqu’un à la religion. Le Très Haut dit : « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement. » (sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 256) ; « Est- ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? » (sourate 10 intitulée Jonas, Yûnus, verset 99). »

Le Sheikh `Abd Al-Muta`âl As-Sa`îdî dit dans son livre Hurriyyat Al-Fikr fil-Islâm (La Liberté de pensée en Islam), après avoir énuméré les versets coraniques traitant de la question, et après avoir fait état de la tolérance que le Prophète - paix et bénédiction sur lui - affichait vis-à-vis des hypocrites : « Si, après tout cela, on nous présente des hadiths n’ayant pas bénéficié d’une large transmission et qui indiquent que l’apostat doit être tué, alors ou bien nous ne les acceptons pas - car les hadiths n’ayant pas bénéficié d’une large transmission ne sont pas considérés comme un argument valable au niveau des questions fondamentales touchant à la foi, tout en sachant que l’exécution de l’apostat pour avoir modifié ses croyances entre dans le cadre de ces questions fondamentales, non dans le cadre des questions secondaires -, ou bien nous considérons que ces hadiths concernent l’apostat qui entre en guerre contre les Musulmans. Les Musulmans étaient en effet, à l’époque du Prophète - paix et bénédiction sur lui -, en état de guerre. Celui qui apostasiait de l’Islam ne se contentait pas de rester chez lui : il rejoignait les ennemis de l’Islam et combattait dans leurs rangs. Ainsi, l’ordre donné par le Prophète d’exécuter ces apostats était dû non pas à leur apostasie mais bel et bien à leur entrée en guerre contre les Musulmans. Ceci est corroboré par le fait que le Prophète n’ordonna pas d’exécuter les hypocrites qui apostasièrent pourtant de l’Islam. En effet, ceux-là ne prirent pas part au combat contre les Musulmans. Bien au contraire, il leur arrivait parfois de combattre à leurs côtés. En outre, on ne peut pas dire que le Prophète n’était pas au courant de leur apostasie, car il connaissait parfaitement l’hypocrisie d’un grand nombre d’entre eux. On en déduit alors que la distinction entre les apostats opérée par le Prophète s’explique par leur participation ou non au combat contre les Musulmans. Celui qui porte les armes après avoir apostasié doit être tué. Celui qui ne porte pas les armes n’est ni combattu ni tué. Nous pensons que cet avis est celui qui concilie au mieux les divergences des juristes sur cette question. »

En outre, les avis concernant l’apostat sont extrêmement nombreux. Ibn Hazm les a énumérés dans son livre Al-Muhallâ : « Toute personne ayant été incontestablement musulmane, n’ayant eu aucune autre religion en dehors de l’Islam, puis qui se rend coupable d’apostasie de l’Islam, se convertissant à une religion scripturaire ou non scripturaire ou encore à l’athéisme, fait l’objet d’un jugement au sujet duquel les gens ont divergé. Certains pensent qu’on ne lui demande pas la repentance. D’autres sont d’avis qu’on doit lui demander la repentance. Certains ont distingué celui qui naît au sein de l’Islam puis qui apostasie de celui qui se convertit à l’Islam après la mécréance puis qui apostasie. » Ibn Hazm précise ensuite que ceux qui sont d’avis qu’on ne demande pas à l’apostat la repentance se subdivisent en deux parties. La première pense que l’apostat doit être tué, qu’il se soit repenti ou non, qu’il se soit reconverti à l’Islam ou non. La seconde pense que s’il se repent de lui-même, sa repentance est acceptée et il n’a plus à être exécuté. Si, au contraire, il ne se repent pas, alors il doit être exécuté. Quant à ceux qui sont d’avis qu’on doit demander la repentance à l’apostat, ils se subdivisent en plusieurs parties. La première pense qu’on doit lui demander une fois la repentance. Ou bien il s’exécute ou bien il est exécuté. La deuxième pense qu’on doit lui demander trois fois la repentance. Ou bien il s’exécute ou bien il est exécuté. La troisième pense qu’on doit lui demander la repentance pendant un mois. Ou bien il s’exécute ou bien il est exécuté. La quatrième pense qu’on doit lui demander cent fois la repentance. Ou bien il s’exécute ou bien il est exécuté. La dernière pense qu’on doit lui demander la repentance aussi longtemps qu’il vivra et qu’il n’a pas à être exécuté.

Parmi ceux qui ont établi une distinction entre l’apostat qui dissimule son apostasie et celui qui la déclare ouvertement, les uns sont d’avis que celui qui la dissimule doit être tué sans qu’on lui demande la repentance et sans qu’on ne l’accepte de lui. Quant à celui qui déclare ouvertement son apostasie, sa repentance sera acceptée. D’autres pensent qu’il n’y a aucune différence entre celui qui dissimule son apostasie et celui qui la déclare. Parmi ces derniers, les uns estiment que la repentance de celui qui dissimule son apostasie est également acceptée alors que d’autres disent que la repentance n’est acceptée ni de celui qui dissimule son apostasie ni de celui qui la déclare.

Toutes ces opinions dont foisonne notre héritage jurisprudentiel montrent à quel point ont régné la confusion, la multiplicité des positions, les oppositions, les dissidences et les divergences concernant la question de l’apostasie. Ces juristes auraient pu éviter tout cela et se tourner vers une deuxième possibilité, car cette question n’admet pas de polémique... Elle n’admet qu’une seule réponse.

Une règle d’or : pas d’intervention de l’autorité dans la conscience de l’individu

L’avis sur lequel nous désirons insister ici est que toute intervention de l’autorité - sous quelque appellation qu’elle soit, et quelle que soit la forme qu’elle prend - entre l’individu et sa conscience est définitivement rejetée. La foi doit être en effet fondée sur la liberté individuelle et sur la sérénité du cœur. Nos arguments sont les suivants :

  1. Le Noble Coran mentionne l’apostasie de manière explicite dans plus d’un verset, sans pour autant y fixer une sanction terrestre. Et s’il le voulait, il l’aurait fait.
  2. Le Noble Coran montre - de manière indubitable, dans des centaines de versets, par rapport à toutes les dimensions de la question de la foi - que la source première et le fondement de cette foi est le cœur et la volonté. Il affirme que même les Prophètes n’ont pas à contraindre les gens à la foi, qu’il n’y a nulle contrainte en religion et que croie qui veut et mécroie qui veut.
  3. Lorsque le Noble Coran entérine la liberté de conscience, il ne fait en réalité qu’entériner un principe fondamental, inéluctable d’après la nature même des choses, d’après les principes généraux de la vie, et d’après ce que dicte la raison et la logique. Si le Coran n’avait pas entériné ce principe, ce dernier se serait imposé de lui-même sur la société par pur souci d’objectivité. Du fait que ce principe constitue l’une des règles que Dieu - Exalté soit-Il - a posées pour l’établissement de sociétés humaines, les législations célestes n’étaient pas venues le contredire ; bien au contraire, elles étaient venues l’entériner.
  4. On n’a pas rapporté que le Prophète - paix et bénédiction sur lui - a tué un apostat uniquement pour son apostasie, malgré le nombre conséquent d’hypocrites qui avaient renié l’Islam après y avoir cru.
  5. Nous ne rejetons pas un hadith simplement parce qu’il n’a pas bénéficié d’une large transmission. Nous respectons et nous nous inclinons devant tout hadith reconnu pour son authenticité. Néanmoins, afin de l’appliquer en tant que principe général, il nous faut être extrêmement prudents, il faut saisir toutes les circonstances de ce hadith et nous devons nous assurer qu’il a été rapporté à la lettre près, et non uniquement d’après son sens. Nous ne pouvons nous permettre de verser le sang ou d’entraver les libertés alors qu’il existe une probabilité non nulle que le hadith a été rapporté d’après son sens. Adopter une telle méthodologie dans la narration du hadith peut en effet altérer ce dernier. En outre, il nous faut analyser toutes les circonstances au cours desquelles le hadith fut prononcé, ce qui nous permettra de savoir s’il s’agit d’une directive particulière ou d’une directive générale. Tous ces doutes ne sauraient être négligés, et il suffirait de bien moins que cela pour ne pas appliquer une sanction pénale prévue par le Coran sur un individu donné. Comment pourrions-nous alors accepter un principe général qui s’appliquerait sur tous avec la présence de doutes aussi forts ?
  6. L’idée de l’apostasie s’accompagnait, au temps du Prophète - paix et bénédiction sur lui -, de l’inimitié envers l’Islam et de la guerre contre lui. Celui qui croyait s’activait à le défendre et celui qui apostasiait s’activait à le combattre, en rejoignant les idolâtres, comme cela fut le cas par exemple de `Abd Allâh Ibn Sa`d Ibn Abî Sarh. Ce dernier s’était en effet converti à l’Islam, puis avait apostasié. Il se mit alors à rassembler la tribu de Quraysh contre le Prophète - paix et bénédiction sur lui. Le Prophète le condamna à mort par contumace. Lors de la conquête de la Mecque, l’apostat se réfugia chez `Uthmân Ibn `Affân, qui était son frère de lait. `Uthmân le couvrit chez lui jusqu’à ce que les choses se calmassent à la Mecque, après quoi il l’amena devant le Prophète, lui demandant de lui octroyer sa protection. Le Messager de Dieu - paix et bénédiction sur lui - se tut alors pendant un long moment, avant de lui octroyer sa protection. L’apostat finit par se reconvertir à l’Islam.

Un exemple historique et un exemple contemporain

L’exemple d’apostasie le plus célèbre dans l’histoire de l’Islam est celui de l’apostasie des tribus arabes après la mort du Prophète - paix et bénédiction sur lui. L’apostasie de ces tribus était due en réalité au refus de ces dernières de payer l’aumône légale purificatrice (zakâh). C’est alors que Abû Bakr prononça sa célèbre sentence : « Par Dieu, s’ils refusent de me faire parvenir ne fût-ce qu’une ficelle qu’ils donnaient au Prophète - paix et bénédiction sur lui -, je les combattrai jusqu’à ce qu’ils s’en acquittent. » Encore plus explicite est son autre sentence concernant ceux qui établiraient une distinction entre la prière et l’aumône légale purificatrice. L’apostasie de ces tribus relevait donc plus d’une apostasie politique que d’une apostasie religieuse, au sens où nous l’entendons. C’est pour cette raison que les livres de jurisprudence ne s’appuient pas sur cette décision de Abû Bakr pour justifier l’exécution de l’apostat.

Quant à l’idée d’une apostasie en tant que simple expression de la liberté de conscience, elle était fort peu probable à cette époque. C’est à partir de cette remarque que même les juristes ont établi une distinction entre l’arrestation de l’apostat avant qu’il ne déclare la guerre ou après.

Ceux qui ont eu à traiter cette question à notre époque auraient dû s’apercevoir de ce point. S’ils veulent appliquer une sanction, alors cette sanction doit concerner l’apostat qui déclare la guerre ou qui trahit sa patrie. Le crime commis devient dès lors le crime de Haute Trahison et non d’apostasie.

Les avis des juristes auraient dû observer cette limite fixée par les versets du Coran. Or, sur ce point, ils ont commis un abus en négligeant l’essence de l’Islam, lequel abus ne trouve aucune justification.

Il existe un cas contemporain concret illustrant cela. Le quotidien égyptien Al-Ahrâm nous a fait savoir le 6 juillet 1977 que le Conseil d’Etat avait approuvé un projet de loi visant à rétablir la peine de l’apostasie. Cette loi stipulait l’exécution de l’apostat qui reniait l’Islam de son propre gré par une parole explicite ou par un acte sans équivoque. Cette même loi condamnait également à dix ans de prison ferme celui qui apostasiait plus d’une fois puis se reconvertissait à l’Islam. Cette même loi prévoyait enfin des sanctions répressives pour l’apostat mineur.

Dans cette loi, l’apostasie était reconnue avérée soit par l’aveu de l’accusé soit par le témoignage de deux hommes. En outre, en conséquence directe de ce jugement, l’apostat ne pouvait plus disposer de ses biens. L’article paru dans le quotidien Al-Ahrâm précise certains détails de la loi en question. Ainsi, si le « criminel » - terme employé par le quotidien Al-Ahrâm - avait entre sept et dix ans, alors le juge pourrait le réprimander sévèrement durant l’audience, ou ordonner qu’il fût remis à l’un de ses parents ou à un tuteur, ou ordonner qu’il fût transféré dans une fondation d’assistance sociale spécialisée dans les crimes de mineurs. Si l’enfant avait entre dix et quinze ans, alors le juge pourrait le sanctionner en ordonnant qu’il fût bâtonné de dix à cinquante fois, etc.

Ce projet de loi stipulait également que toute personne qui aurait incité une autre personne à commettre ce qui serait le crime d’apostasie, se verrait punie de la sanction qui retomberait sur la personne incitée, si l’incitation de la première personne n’est pas suivie d’effets. Si l’incitation est suivie d’effets, les deux personnes se verront appliquer la même sanction.

Par ailleurs, les crimes appelant des sanctions corporelles ne sont pas régis par les mêmes lois dans le code pénal, en ce sens qu’un coupable ne saurait se voir gracié de ces sanctions corporelles, même après des années. En outre, ces sanctions ne peuvent être allégées en une sanction plus clémente ni être pardonnées. L’accusé d’apostasie ne peut pas non plus disposer ni jouir de ses biens. Toute procédure ou engagement pris par l’accusé pendant sa détention est suspendue jusqu’à ce que son affaire soit examinée.

Cette proposition de loi a représenté à l’époque une régression juridique réelle pour remédier à un problème islamique imaginaire. Si cette loi avait été adoptée, elle n’aurait servi que les intérêts des imbéciles, des ignorants et des ennemis de l’Islam. Les imbéciles sont ceux qui croient que cette loi est un bien alors qu’il s’agit d’un mal indicible. Les ignorants sont ceux qui n’ont pas appris la leçon de l’histoire ancienne et contemporaine, et n’ont pas compris que toute entrave à la liberté de pensée ne fait que retarder l’humanité et retarder l’idée qu’il est impératif de protéger. Toute loi de ce type ne profite en fait qu’à l’autorité en place et aux circonstances actuelles, dans lesquelles l’amour du pouvoir va même jusqu’à pousser le dirigeant à espionner ses amis de toujours, et à prendre connaissance de leurs secrets et des photographies de ce qui se passe dans leurs chambres à coucher. Cette loi aurait été une arme pour accuser tout opposant politique, lui intenter un procès et lui faire un scandale. Cette loi aurait également permis de s’emparer des biens de gens et de leur confisquer leurs enfants innocents, auxquels la loi islamique a pourtant accordé une protection inégalée dans toutes les autres législations du monde. Or voici que cette loi irait jusqu’à jeter ces enfants dans des instituts de formation de criminels professionnels, appelés « fondations d’assistance sociale ».

Quant aux ennemis de l’Islam, ils auraient dit : « Les Musulmans ne reconnaissent l’Unicité de Dieu et le Message de Muhammad que grâce à l’application du code pénal. »... Sans plus.

Après tout cela, n’est-il pas venu à l’esprit de ceux qui ont proposé cette loi que les résultats qui seraient obtenus seraient à l’inverse de ceux escomptés ?

L’accusation d’apostasie pourvoit l’accusé de la sympathie des foules. Si cet accusé refuse la prétendue demande de repentance et préfère être tué au nom de son opinion - quelle que soit cette opinion -, alors cette attitude fera de lui un martyr de la liberté de pensée, et cela ne servira qu’à broder une médaille héroïque sur la toge de l’athéisme. C’est d’ailleurs ce qui eut lieu avec les victimes de l’Inquisition dans le Christianisme.

La demande de repentance ne peut faire mieux que cela du moment qu’elle découle de l’autorité. La demande de repentance pour les hommes est équivalente à la maison d’obéissance [4] pour les femmes. A présent que les femmes se soulèvent - à juste titre - contre la maison d’obéissance, le législateur désire créer une maison d’obéissance pour les hommes.

La liberté de pensée : une finalité islamique

Nous pensons que la gravitation de la pensée islamique autour de concept divin a fait que le « droit vrai » (al-haqq) [5] est considéré comme l’absolu principe régissant la société islamique. La liberté découle de ce droit vrai et est en réalité une de ses manifestations. Tout cela est incontestable. Mais en même temps, il est nécessaire de faire exception d’une seule liberté. Cette exception ne cherche pas à s’opposer au droit vrai ou à le détruire, mais elle seule permet de garantir une saine compréhension du principe de droit vrai. Cette liberté est la liberté de pensée et de conscience.

L’unique limite à laquelle s’arrête cette liberté est l’Essence de Dieu - Exalté soit-Il - et Sa Nature. La raison humaine n’est en effet pas disposée à traiter cette question. Tous les philosophes et les penseurs, des quatre coins du monde, depuis Socrate jusqu’à aujourd’hui, n’ont pu parvenir à aucune réponse probante en étudiant cette question. A partir de là, l’unique danger contre lequel l’Islam a mis en garde vis-à-vis de la pensée est la réflexion sur l’Essence de Dieu. En dehors de ce point, l’Islam accorde à la liberté de pensée une latitude inconditionnelle.

Le problème auquel la pensée islamique a dû faire face est le suivant : si le droit vrai est l’absolu principe, alors comment peut-on comprendre ce droit vrai et s’en convaincre - c’est-à-dire y croire, si on se place dans une perspective religieuse ? Si la croyance en ce droit vrai n’est pas imposée et qu’il est nécessaire de s’en convaincre, de la vouloir et de l’accepter avec sérénité, alors il n’y a d’autre issue possible que d’assurer l’existence d’un climat de liberté de pensée propice, premièrement à la compréhension de ce droit vrai, de ses caractéristiques, de ses fondements, de ses conséquences, et deuxièmement à la conviction que ce droit vrai est authentique et parfait.

Nous déduisons ainsi que c’est la liberté de pensée qui permet de connaître le chemin menant à la vérité, au droit vrai. En conséquence, il n’est dès lors plus possible d’entraver cette liberté au nom de la vérité ou du droit vrai. Il s’agirait alors d’une séquestration et d’une atteinte à la nature même de cette liberté. En outre, vouloir protéger la pensée de l’égarement ou de conclusions erronnées est une idée qu’il est impossible d’argumenter. Permettre la mise en place de la moindre entrave et de la moindre limitation sous prétexte de vouloir protéger la pensée ne saurait s’arrêter à ce niveau présupposé. Car de telles limitations protectrices sont elles-mêmes limitées par la compréhension du contenu de la pensée, telle que se le conceptualise celui qui les pose. Si on accepte la moindre limitation de la liberté de pensée, il se trouvera toujours des esprits bornés et une emprise des intérêts qui mèneront le plus souvent à la mise en place des pires formes d’entraves. En témoigne l’histoire de la liberté de pensée.

C’est pour cette raison que l’Islam a banni toute forme d’entrave. Et rien ne l’a dissuadé d’agir ainsi, pas même la crainte de l’égarement ou l’athéisme. Car toute substitution à cette décision serait pire que la décision elle-même. Si les portes de la liberté de pensée sont grandes ouvertes et que certaines personnes s’égarent en conséquence de cela, alors celui qui croira croira par conviction et sur preuve. En revanche, si nous permettons la mise en place d’entraves et si nous faisons preuve d’autoritarisme, alors la croyance pourra n’être que superficielle et sans valeur, même si le nombre de croyants est important.

Les textes qui imposent la liberté de pensée et de conscience sont nombreux. Mais plus importante serait en fait la conception islamique de la société. Cette conception présuppose en effet l’existence de la liberté en tant que partie indivisible du fondement de cette société, non seulement à cause de ce que nous avons précédemment évoqué, du fait que la croyance en la doctrine islamique ne saurait s’opérer que dans un climat libre et après une conviction totale, mais également du fait que l’Islam construit la vie humaine en général sur la base de l’examen divin et de la possibilité du choix entre le bien et le mal. Cela implique et nécessite à son tour l’existence de forces maléfiques ainsi que l’existence de la liberté de l’être humain à suivre ou à résister à ces forces maléfiques. Rien n’est plus clair en ce sens que les textes coraniques. Ainsi, Satan n’a été en mesure de tenter les êtres humains que parce que c’est Dieu - Exalté soit-Il - Qui le lui a permis et lui a même donné les moyens et les outils nécessaires de le faire. Le Noble Coran rapporte l’entretien de Satan avec Dieu en ces termes : « ‹Accorde-moi un délai, dit Satan, jusqu’au jour où ils seront ressuscités.› Dieu dit : ‹Tu es de ceux à qui délai est accordé.› ‹Puisque Tu m’as déchu, dit Satan, je les attendrai sur Ton droit chemin, puis je les assaillirai par-devant, par-derrière, de leur droite et de leur gauche. Et, pour la plupart, Tu ne les trouveras pas reconnaissants.› » (sourate 7 intitulée les Limbes, Al-A`râf, versets 14 à 17) ; « Il dit encore : ‹Vois-Tu ? Celui que Tu as honoré au-dessus de moi, si Tu me donnais un répit jusqu’au Jour de la Résurrection, j’éprouverais, certes, sa descendance, excepté un petit nombre parmi eux›. Et Dieu dit : ‹Va-t-en ! Quiconque d’entre eux te suivra... votre sanction sera l’Enfer, une ample rétribution. Excite, par ta voix, ceux d’entre eux que tu pourras, rassemble contre eux ta cavalerie et ton infanterie, associe-toi à eux dans leurs biens et leurs enfants et fais-leur des promesses. Or, le Diable ne leur fait des promesses qu’en tromperie. Quant à Mes serviteurs, tu n’as aucun pouvoir sur eux›. Et ton Seigneur suffit pour les protéger ! » (sourate 17 intitulée le Voyage nocturne, Al-Isrâ’, versets 62 à 65). Des versets similaires existent dans les sourates 15 et 38 intitulées respectivement Al-Hijr et Sâd. Ainsi, présupposer l’inexistence de ces forces, de leur liberté d’action et de la liberté de choix de l’être humain contredit la conception que l’Islam se fait de la société, ainsi que l’usage qu’il fait de la récompense et du châtiment divins, du Paradis et de l’Enfer. Un tel présupposé ne fait que détruire la justification de l’existence de cette vie d’ici-bas, justification fondée sur l’égarement d’une part et sur la faiblesse humaine d’autre part. Dieu - Exalté soit-Il - a permis que cette vie soit un terrain d’action pour le Diable et ses tentations, et ce, jusqu’au Jour de la Résurrection. Si on crée des entraves et des parapets rendant improbables les effets de la tentation et de l’égarement, alors il n’y aura plus d’examen, il n’y aura plus de choix, il n’y aura plus ni récompense ni châtiment. Cela contredit fondamentalement et s’oppose même formellement à la conception islamique de la société humaine dans son ensemble, laquelle société est née et a vu le jour suite au choix opéré par Adam. Dieu - Exalté soit-Il - a ensuite fait de cette société un terrain du libre choix, pendant toute la durée accordée au Diable, jusqu’au Jour de la Résurrection. Dieu a permis au Diable d’agir comme il l’entend et Il a armé les croyants de la foi et de la croyance, pour être en mesure de résister aux tentations de ce Diable. S’Il le voulait, Dieu ne lui aurait rien permis du tout et aurait guidé à Lui toute l’humanité, etc.

Par ailleurs, cette conception est limpide dans la manière dont le Coran admet l’existence d’une majorité égarée et d’une erreur répandue. Le Très Haut dit : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. » (sourate 10 intitulée Jonas, Yûnus, verset 99). Le Coran guide le Messager avec franchise vers cette vérité : « Tu n’as aucune part dans l’ordre divin - qu’Il (Dieu) accepte leur repentir ou qu’Il les châtie, car ils sont bien des injustes. » (sourate 3 intitulée la Famille d’Amram, Âl `Imrân, verset 128) ; « Et si leur indifférence t’afflige tellement, et qu’il est dans ton pouvoir de chercher un tunnel à travers la terre, ou une échelle pour aller au ciel pour leur apporter un miracle, fais-le donc. Et si Dieu voulait, Il pourrait les mettre tous sur le chemin droit. Ne sois pas du nombre des ignorants. » (sourate 6 intitulée les Bestiaux, Al-An`âm, versets 35) ; « Même si tu désires ardemment qu’ils soient guidés... Sache que Dieu ne guide pas ceux qui s’égarent. Et ils n’auront pas de secoureurs. » (sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, verset 37) ; « Tu ne guides pas celui que tu aimes : mais c’est Dieu qui guide qui Il veut. » (sourate 28 intitulée le Récit, Al-Qasas, verset 56).

Quant aux versets qui soutiennent la liberté de conscience, ils sont trop nombreux pour que nous les citions dans ce bref article. On peut néanmoins en tirer quelques conclusions :

- On doit gagner une personne à la foi en l’invitant et en discutant avec elle, sans contrainte, sans pression, sans faire appel à une quelconque autorité, à une quelconque position sociale, sans répondre aux demandes de miracles ni aux demandes d’ordre purement matériel.

- Les prédicateurs doivent être libres de prêcher. Toute entrave à leur activité est une forme d’obstruction et d’agression.

- Les gens doivent rester libres d’accepter ou de refuser cette invitation.

Plusieurs versets montrent que la foi relève de la guidance, et que la divergence avec cette foi relève de la destinée. Tout vient de Dieu. Dieu - Exalté soit-Il - a ordonné à Son Prophète de se détourner des idolâtres et des ignorants, car il n’y a nulle contrainte en religion : celui qui croit ne profite qu’à lui-même et celui qui mécroit ne cause du tort qu’à lui-même également. Dieu - Exalté soit-Il - est le Seul à pouvoir juger entre les hommes concernant ce sur quoi ils divergeaient. Les versets allant dans ce sens se comptent par dizaines, ce qui en fait incontestablement un fondement de la religion musulmane.

La méthodologie du Coran dans l’abord qu’elle réserve à l’Autre

Le Coran a posé une méthode à suivre face aux avis divergents. Ainsi, il commence par citer les prétentions des idolâtres, aussi diffamatoires, polythéistes et insolentes que puissent être ces prétentions, puis il y répond par l’argument et la logique. On peut ainsi citer : « Et ils ont dit : ‹Dieu s’est donné un fils› ! » (sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 116) ; « ceux qui ont dit : ‹Dieu est pauvre et nous sommes riches›. » (sourate 3 intitulée la Famille d’Amram, Âl `Imrân, verset 181) ; « Ils dirent : ‹Fais-nous voir Dieu à découvert !› » (sourate 4 intitulée les Femmes, An-Nisâ’, verset 153) ; « Et les Juifs disent : ‹La main de Dieu est fermée !› » (sourate 5 intitulée la Table servie, Al-Mâ’idah, versets 64) ; « ceux qui disent : ‹En vérité, Dieu est le troisième de trois.› » (même sourate, verset 73) ; « ils disent : ‹Tu n’es qu’un menteur›. » (sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, verset 101) ; « Et ils disent : ‹Ceci (le Coran) n’est qu’un mensonge inventé›. » (sourate 34 intitulée Saba’, verset 43) ; « Ils dirent : ‹Nous voyons en vous un mauvais présage. Si vous ne cessez pas, nous vous lapiderons›. » (sourate 36 intitulée Yâ-Sîn, verset 18) ; « Et ils disent : ‹Ce sont des contes d’anciens qu’il se fait écrire ! On les lui dicte matin et soir !› » (sourate 25 intitulée le Discernement, Al-Furqân, verset 5). De nombreux versets similaires existent encore, mais nous n’avons pas ici la place de tous les citer. Dans aucun de ces versets, le Coran n’a pourtant demandé de couper la langue, d’emprisonner, de châtier ou de sanctionner ceux qui tiennent de tels propos infâmes, contrairement à ceux qui se rendent coupables de vol, de fornication ou de calomnie, etc. Le Coran n’a pas non plus négligé ces prétentions car leur simple mention aurait pu alimenter le doute. Non, il les cite puis les détruit par l’argument, la logique et la preuve.

Quant aux questions soulevées au sujet du jihâd (effort de lutte) et de cette équivoque fermement ancrée dans certains esprits, selon laquelle l’Islam se serait répandu par l’épée, nous répondons que rien n’en est plus éloigné de la réalité. Si le but de l’effort de lutte armée était d’imposer l’Islam aux populations conquises, alors le prélèvement de la capitation (jizyah) n’aurait pas pu être toléré, et il aurait été considéré comme la pire forme de corruption. En outre, si cette prétention était avérée, alors les attaques les plus violentes auraient dû s’abattre en priorité sur les prédicateurs des autres religions, comme les moines et les rabbins ; les lieux de culte, les églises, les synagogues et les monastères auraient dû en outre être détruits. Or, l’effort de lutte musulman a pris une voie diamétralement opposée. Il a permis à chacun de rester dans sa religion et il a interdit toute persécution religieuse. Il a garanti sa protection aux prêtres et aux rabbins, aux synagogues et aux églises et il a formellement défendu de s’en prendre à eux.

Ce que certaines personnes n’ont pas compris, c’est que l’Islam, tout en étant une doctrine religieuse pure entre l’individu et son Seigneur, est également un système socio-politique fondé sur la justice, l’égalité et la liberté de pensée et de conscience. Tous les systèmes existants, à l’avènement de l’Islam, étaient noyés dans la tyrannie, enracinés dans les systèmes de castes, fondés sur l’orgueil, l’injustice et la répression. Tous ces systèmes ne pouvaient en aucun cas permettre l’apparition de l’Islam en tant que religion et croyance ni en tant qu’appel à la justice, à l’égalité et à la liberté. Il n’y avait donc aucune autre issue que d’affronter ces systèmes en leur déclarant la guerre. L’expérience de l’histoire que l’Islam avait eue jusqu’alors et la manière dont les mécréants de la tribu de Quraysh avaient accueilli la nouvelle religion - la contraignant à la clandestinité puis à l’exil - présageaient que les classes élevées et les détenteurs des rênes du pouvoir n’étaient pas prêts à abandonner volontiers leurs privilèges. L’effort de lutte musulman était donc en réalité une guerre menée au nom de la liberté de conscience, cette liberté concernant aussi bien les Musulmans que les non-Musulmans. Il était question de libérer les masses et les populations de l’esclavage, de l’ignorance, de la misère et des systèmes despotiques. L’heure était venue de remplacer la législation des aristocraties, des trônes et de la tyrannie par la législation du Livre et de la justice.

Si les conquêtes musulmanes n’avaient pas eu pour but de libérer les foules et d’instaurer cette justice, les Musulmans n’auraient pas combattu ainsi jusqu’au martyre. L’être humain ne sacrifie pas sa personne pour cette vie éphémère et pour des biens matériels. En outre, les conquêtes musulmanes n’auraient pas pu s’avancer avec une telle rapidité, traçant leur voie et affermissant leurs pas. Rien n’aurait été plus facile pour les populations conquises que de se soulever contre les armées islamiques, peu nombreuses, fort peu loties en matériel et en subsistance, et loin de leur quartier général. Lorsque les Musulmans pénétrèrent en Espagne, ils n’étaient qu’au nombre de quelques dizaines de milliers tout au plus. Il leur était impossible de rester pendant huit siècles si ce n’était la puissance spirituelle et l’amour de la justice qui les animaient.

Bien que le mot « capitation » (jizyah) possède chez certains écrivains et dans certains esprits une connotation péjorative, il demeure que ce terme est bien loin de la signification que certains veulent lui donner. Le mot jizyah dérive de la racine jazâ (rétribuer), yajzî (il rétribue), jazâ’ (rétribution), construite sur le même modèle étymologique que qadâ (juger), yaqdî (il juge), qadâ’ (jugement). Dans la Révélation, on trouve le verset suivant : « Et redoutez le jour où nulle âme ne sera rétribuée à la place d’une autre. » (sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 48). Le célèbre hadith dit : « Ton âme sera rétribuée pour toi, mais elle ne sera rétribuée pour personne d’autre que toi. » (rapporté par Al-Bukhârî). La jizyah a donc le sens de « contrepartie », et c’est d’ailleurs sa réelle signification. Elle est une contrepartie à la protection octroyée par la société islamique aux non-Musulmans. Ces derniers sont en effet exemptés de participer à la défense de l’Etat ou de servir dans l’armée. C’est pour cette raison que la capitation n’est pas prélevée sur les femmes et les enfants, ni sur les autres gens de la dhimmah incapables de subvenir à leurs propres besoins. Ces derniers sont au contraire pris en charge par le Trésor Public musulman qui leur verse des pensions et leur offre des cadeaux leur permettant de vivre dignement. Il n’y a donc rien de péjoratif dans la capitation. En outre, elle est un moyen de concilier la liberté et la justice. La capitation a d’ailleurs des équivalents dans les sociétés européenne et américaine contemporaines.

D’autre part, il est établi que la légitimité de la guerre en Islam a émergé en vue de défendre la liberté de conscience. L’effort de lutte se trouve dès lors dans le rang de la liberté, afin de défendre ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : ‹Dieu est notre Seigneur›. L’effort de lutte n’est donc pas ici l’adversaire de la liberté. Cela a été tiré au clair depuis le premier verset révélé autorisant le combat armé. Dieu dit dans ce verset : « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués de se défendre, parce que vraiment ils sont lésés - et Dieu est certes Capable de les secourir -, ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : ‹Dieu est notre Seigneur›. Si Dieu ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom de Dieu est beaucoup invoqué. Dieu soutient, certes, ceux qui soutiennent Sa Religion. Dieu est assurément Fort et Puissant. Ceux qui, si Nous leur donnons la puissance sur terre, accomplissent la prière, s’acquittent de l’aumône purificatrice, ordonnent le convenable et interdisent le blâmable... Cependant, l’issue finale de toute chose appartient à Dieu. » (sourate 22 intitulée le Pèlerinage, Al-Hajj, versets 39 à 42).

Les autres versets autorisant la guerre entrent également dans ce cadre. Tous ont pour objectif de défendre la foi et de repousser la persécution. Le verset le plus dur - celui que les exégètes appellent le verset de l’épée - [6] est directement suivi d’un autre verset qui ne peut que susciter l’admiration : « Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la Parole de Dieu, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Car ce sont des gens qui ne savent pas. » (sourate 9 intitulée le Repentir, At-Tawbah, verset 6). Une telle prescription ne saurait exister au milieu de versets relatifs à la guerre, sauf si cette guerre se donne pour objectif de défendre la liberté de conscience. L’épée n’est donc pas dirigée en vue de contraindre les gens à la foi. Tout comme il ne saurait exister des directives, s’adressant au Prédicateur suprême - paix et bénédiction sur lui -, aussi claires et limpides que : « Et tu n’es pas un dominateur sur eux. » (sourate 88 intitulée l’Enveloppante, Al-Ghâshiyah, verset 22) ; « Et tu n’es pas leur garant. » (sourate 6 intitulée les Bestiaux, Al-An`âm, verset 107). Le Prophète est un transmetteur du Message et un témoin. Il n’est nullement un dominateur ni même un garant.

On pourra également consulter les autres approches de la question de l’apostasie :

- Al-Qaradâwî : « Le danger de l’apostasie... et la lutte contre la zizanie »

- Al-`Awwâ : « La sanction de l’apostasie est une peine discrétionnaire, non un châtiment corporel »

- Al-Bannâ : « Pas de sanction pour l’apostasie... La liberté de conscience est le fondement de l’Islam »

P.-S.

Traduit depuis le site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Cette peine dite de la hirâbah concerne ceux qu’on appellerait aujourd’hui les criminels de guerre. Elle est définie par le verset 33 de la sourate 5 intitulée la Table servie, Al-Mâ’idah :
« La récompense de ceux qui guerroient contre Dieu et Son Messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment. »

[2Cette expression désigne l’ensemble des territoires en guerre contre les Musulmans.

[3Pour en savoir plus sur cette notion, on pourra se référer à l’article suivant : « Renier de la religion ce qui en est nécessairement connu ».

[4La sentence dite de « maison d’obéissance » concerne la femme qui est accusée de s’être rebellée contre son époux et d’avoir quitté le domicile conjugal pour cette raison. L’époux peut alors déposer une plainte auprès de la justice. Si cette sentence de « maison d’obéissance » est prononcée par le juge, l’épouse doit obligatoirement rentrer au domicile conjugal. Si elle refuse d’obtempérer, elle est séparée de son époux et perd son droit à un remariage ultérieur. Cette pratique existe dans des pays comme l’Egypte.

[5Cette notion de droit vrai traduit ici la notion islamique de « haqq » qui signifie aussi bien le droit institué par Dieu que l’émanation de la Vérité divine. Le droit vrai se veut ainsi être le droit tel que Dieu nous l’a voulu, et non tel que nous, nous le voulons.

[6Il s’agit du verset 5 de la sourate 9 intitulée le Repentir, At-Tawbah :
« Après que les mois sacrés expirent, tuez les idolâtres où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la prière et s’acquittent de l’aumône purificatrice, alors laissez-leur la voie libre, car Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. »

Répondre à cet article



Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP |
© islamophile.org 1998 - 2024. Tous droits réservés.

Toute reproduction interdite (y compris sur internet), sauf avec notre accord explicite. Usage personnel autorisé.
Les opinions exprimées sur le site islamophile.org sont celles de leurs auteurs. Exprimées dans diverses langues étrangères, ces opinions sont mises à la portée des lecteurs francophones par nos soins, à des fins d'information, de connaissance et de respect mutuels entre les différentes cultures et religions du monde.