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Est-il licite ou illicite de se raser la barbe ?

samedi 4 juin 2005

Question

Est-il licite ou illicite de se raser la barbe ? Veuillez nous répondre preuve à l’appui. Que Dieu vous bénisse.

Réponse de Sheikh Jâd Al-Haqq ʿAlî Jâd Al-Haqq

Parmi les questions juridiques secondaires, figure la question de la barbe. De nombreuses divergences existent concernant son port et son rasage, au point que certaines personnes font du port de la barbe un signe distinctif du croyant.

En réalité, les juristes considèrent, de manière unanime, que laisser pousser sa barbe et ne pas la raser correspond à la tradition du Prophète — paix et bénédictions sur lui — qui avait une barbe dont il prenait soin en la lavant, en la peignant et en la taillant afin qu’elle épouse harmonieusement les formes du visage et l’allure générale. Les Compagnons — qu’Allâh les agrée — ont imité le Messager — paix et bénédictions sur lui — dans ses gestes et ses choix. Divers hadiths prophétiques incitent à porter la barbe, à en prendre soin et à ne pas la raser, à l’instar des hadiths qui incitent à l’usage du bâton d’arak, à se couper les ongles et à se rincer le nez à l’eau.

Les juristes considèrent de manière unanime également qu’il est requis de laisser pousser sa barbe, mais ils divergent sur le caractère obligatoire ou recommandé de cette pratique [1]. Certains juristes optent pour l’obligation. La preuve la plus probante qu’ils avancent pour soutenir leur opinion est le hadith rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh selon Ibn ʿUmar relatant que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Différenciez-vous des polythéistes : laissez pousser vos barbes et coupez vos moustaches. » Ils se fondent aussi sur le hadith rapporté par Muslim dans son Sahîh selon Ibn ʿUmar relatant que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Coupez vos moustaches et laissez pousser vos barbes. » Ces juristes y voient un commandement de laisser pousser sa barbe, rappelant qu’à l’origine l’impératif signifie l’obligation, sauf si un indice lui confère un autre sens, et qu’en l’espèce un tel indice n’existe pas. Ils rappellent également qu’il est obligatoire de se différencier des polythéistes. Ils concluent donc que laisser pousser sa barbe est obligatoire. L’Imâm An-Nawawî dit dans son commentaire du hadîth « Coupez vos moustaches et laissez pousser vos barbes. » que cinq narrations traitent du fait de laisser pousser sa barbe et que, malgré les variations de leurs énoncés, elles indiquent toutes qu’il faut laisser sa barbe intacte.

L’une des conséquences de la sentence affirmant l’obligation de laisser pousser sa barbe, telle que rapportée par Ibn Qudâmah le hanbalite dans Al-Mughnî, consiste à exiger le prix du sang (ad-diyah) pour tout attentat aux poils de la barbe selon Ahmad, Abû Hanîfah et Ath-Thawrî. Ash-Shâfiʿî et Mâlik penchent, quant à eux, pour une compensation décidée par un tribunal. Ceci indique que porter atteinte aux poils de la barbe de sorte qu’elle ne pousse plus était considéré par les juristes comme un crime exigeant une compensation : soit l’intégralité du prix du sang, selon l’avis des Imâms Abû Hanîfah, Ahmad et Ath-Thawrî, soit une compensation dont l’estimation est laissée à l’appréciation des spécialistes, selon les vues des Imâms Mâlik et Ash-Shâfiʿî.

D’autres juristes affirment que laisser pousser sa barbe est une sunnah méritant une rétribution mais dont l’abandon n’appelle pas un châtiment. Pour eux, se raser la barbe est détestable [1], mais n’est pas illicite et ne compte pas parmi les péchés majeurs. Ils fondent leur avis sur le hadîth rapporté par Muslim dans son Sahîh, selon ʿÂ’ishah, relatant que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Dix dispositions font partie de la nature saine (al-fitrah) : Se couper la moustache, laisser pousser sa barbe, user du bâton d’arak, se rincer le nez à l’eau, se couper les ongles, se laver les phalanges, s’épiler les aisselles, se raser l’aîne, faire sa toilette intime (al-istinjâ’). » Musʿab — le narrateur — dit : « J’ai oublié la dixième disposition, à moins que ce soit le rinçage de la bouche. »

Ce hadith montre que se laisser pousser la barbe fait partie des actes sunnah recommandés étant donné que le hadith ne mentionne que des sunan [2] coutumières. Les tenants de l’obligation leur ont répliqué que le fait de laisser pousser sa barbe fait l’objet d’un hadith spécifique qui le sort du champ de la simple recommandation et en fait une obligation, à savoir le hadith susmentionné « Différenciez-vous des polythéistes... ». Les juristes affirmant le caractère sunnah de cette pratique ont répondu que l’ordre de se différencier des polythéistes n’exprime pas nécessairement une obligation car, si tout ce qui s’écarte de la pratique des polythéistes était obligatoire, il serait obligatoire de se teindre les cheveux, en vertu du hadith rapporté par Al-Bukhârî, Muslim, Abû Dâwûd, At-Tirmidhî et An-Nasâs’î : « Les Juifs et les Chrétiens ne se teignent pas les cheveux, différenciez-vous d’eux. » Or, le salaf [3] est unanime sur le caractère facultatif de la teinte des cheveux ; certains Compagnons se teignaient les cheveux, d’autres ne le faisaient pas, comme le rappelle Ibn Hajar dans Fath Al-Bârî. Ils ont aussi appuyé leur opinion par le récit mentionné dans Nahj Al-Balâghah : « On interrogea ʿAlî — qu’Allâh honore sa face — au sujet de la parole du Messager — paix et bénédictions sur lui — : “Changez vos cheveux grisonnants, et n’imitez pas les Juifs.” Il répondit : “Le Prophète a dit cela alors que la religion était minoritaire, mais maintenant qu’elle s’est répandue, chacun peut faire comme bon lui semble.” »

C’est pourquoi certains savants affirment que le plus juste consisterait à recommander en matière de barbe, à l’instar de la teinte des cheveux, de respecter les us et coutumes du lieu où l’on se trouve, voire si l’on laissait ces questions à l’appréciation de chacun selon les circonstances qu’il traverse, il n’y aurait aucun mal à cela. Voyant Abû Yûsuf — le compagnon d’Abû Hanîfah — porter des sandales à clous, on lui dit que tel ou tel savant trouvaient cela détestable car cela ressemble à ce que font les moines. Il répondit que le Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — portait des sandales à crin et que cela ressemble aussi à ce que font les moines...

Les savants disent fréquemment que, d’une part, l’impératif figurant dans une grande partie des narrations rapportées de la part du Messager — paix et bénédictions sur lui — concernant ce genre de questions peut aussi bien signifier l’obligation que la recommandation de ce qui est meilleur, et, d’autre part, la ressemblance avec les adeptes des autres religions n’est illicite que lorsqu’il s’agit d’imiter l’une des caractéristiques de leurs religions, mais le fait de leur ressembler dans les us et coutumes générales, cela n’est ni mauvais, ni détestable, ni illicite.

Eu égard à tous ces éléments, on conclut qu’il est tout à fait acceptable d’affirmer que laisser pousser sa barbe est souhaitable, et que cela fait partie des traditions islamiques qu’il faut préserver. Par ailleurs, celui qui laisse pousser sa barbe sera rétribué pour ce geste, tandis que celui qui la rase commet une chose détestable [1] ne constituant pas un péché, étant donné les preuves avancées par le second groupe de juristes.

Et Dieu est le plus savant.

P.-S.

Traduit de l’arabe du site islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Dans la terminologie juridique, les actes sont classés sur une échelle de valeur allant de l’obligation à la prohibition. On désigne par fard et wâjib les actes obligatoires, avec une petite nuance entre les deux : le fard exprime une obligation plus forte que le wâjib. Ensuite, on trouve les actes recommandés désignés par le qualificatif mustahabb ou marghûb fîh exprimant le caractère souhaitable ou recommandé de la chose. Puis, viennent les actes neutres qualifiés de mubâh et que l’on peut accomplir ou non indifféremment, chacun à sa guise. Les actes qualifiés de makrûh, que nous traduisons souvent par détestables, sont les actes considérés comme contrevenant au bon goût ou aux bonnes dispositions sans pour autant faire l’objet d’une interdiction dans les textes. Celui qui les accomplit ne commet donc pas de péché. Enfin, les actes illicites, faisant clairement l’objet d’une interdiction dans les sources de l’islam, sont qualifiés de harâm. NdT.

[2Sunan, pluriel de sunnah, désigne les traditions prophétiques.

[3Le salaf désigne les trois premières générations de musulmans. NdT.

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