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L’exécution des peines corporelles est une prérogative du pouvoir

mardi 21 avril 2009

Question

Certaines personnes affirment que si le gouvernement d’un pays musulman n’applique pas les peines corporelles prévues par le droit pénal musulman pour la fornication, le vol ou la consommation d’alcool, alors il est possible que les individus s’en chargent eux-mêmes, s’acquittant ainsi du devoir de réprobation physique du mal. Quel est le point de vue de la religion sur cette affirmation ?

Réponse de Sheikh `Atiyyah Saqr

En droit pénal musulman, les peines corporelles sont des sanctions dures et sévères sagement légiférées par Dieu pour leur faculté de dissuasion mais aussi d’absolution des péchés, tout comme l’attentat à la vie d’un tiers a été légiféré dans le cadre d’une guerre menée pour la Cause de Dieu, un tel attentat étant rendu indispensable pour repousser l’agression et garantir les droits de chacun. Le Très-Haut dit : « Le combat vous a été prescrit alors que vous le tenez en horreur. Or, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est bénéfique » [1] ; « Et si Dieu ne repoussait les hommes les uns par les autres, la Terre serait certainement corrompue. » [2] Étant donné la sévérité des peines corporelles, il est indispensable d’établir avec certitude la commission du crime qui les justifie. Le crime ne peut ainsi être prouvé que par un aveu explicite fait de plein gré ou par l’attestation de témoins probes dont le nombre requis doit parfois s’élever jusqu’à quatre, comme dans le cas de la fornication.

La suspension des peines corporelles en cas de doute

Lorsqu’il existe un doute dans la caractérisation du crime, les peines corporelles ne s’appliquent pas ; il est alors possible d’appliquer une peine discrétionnaire qui ne doit pas être égale ni supérieure à la peine prévue pour le crime en question par le code pénal musulman, selon l’avis de la majorité des juristes, et ce conformément au hadith : « Suspendez les peines corporelles en cas de doute ». Une divergence existe cependant sur l’attribution de ce hadith, sous cette forme textuelle, au Prophète ainsi que sur son authenticité [3]. De plus, il est avéré que lorsqu’un crime lui était avoué, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — s’assurait que l’aveu était explicite et univoque.

Compte tenu du caractère critique des peines corporelles, et eu égard à leur importance pour les impératifs de sécurité qui imposent de les appliquer sans laxisme, il est du devoir du détenteur de l’autorité de les mettre à exécution.

L’expression « détenteur de l’autorité » désigne en général aussi bien le détenteur d’une autorité particulière vis-à-vis du transgresseur à l’instar du père vis-à-vis de ses enfants, de l’époux vis-à-vis de son épouse, ou du maître vis-à-vis de son esclave, que le détenteur d’une autorité publique, à l’instar du souverain vis-à-vis du peuple dont il est responsable. Cette définition est conforme au hadith : « Vous êtes tous des pasteurs et vous êtes tous responsables de vos ouailles. Le dirigeant est un pasteur et est responsable de ses ouailles. L’homme est un pasteur vis-à-vis de sa famille et est responsable de ses ouailles. (...) » [4]

À qui incombe l’application des peines ?

Partant de cette définition générale, certains juristes ont opiné que quiconque détient une autorité quelconque vis-à-vis du criminel possède la prérogative de lui appliquer la peine qu’il mérite. Ils ont fondé leur avis sur certains événements survenus du temps du Prophète — paix et bénédictions sur lui — et à l’ère de la légifération. On trouve dans cette catégorie l’Imâm Ash-Shâfi`î selon qui un maître a le droit d’appliquer la peine à son esclave conformément au hadith rapporté entre autres par Muslim, Ahmad et Abû Dâwûd, d’après `Alî Ibn Abî Tâlib — que Dieu l’agrée — qui dit : « Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — m’ordonna d’appliquer la peine à l’une de ses servantes qui avait fauté. J’allai la trouver et constatai qu’elle perdait toujours du sang des lochies. Je retournai alors voir le Prophète et l’en informai. Il me répondit : “Lorsqu’elle aura fini de perdre du sang, applique-lui la peine. Appliquez les peines à ceux que possèdent vos dextres.” » [5] On pourrait objecter aux tenants de cette opinion que dans cet exemple, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — était bien le détenteur de l’autorité et qu’il délégua à `Alî l’exécution de la peine. Cependant, la portée générale de sa sentence « Appliquez les peines à ceux que possèdent vos dextres. » confère au maître le droit d’appliquer la peine à son esclave.

Ce hadith pourrait donc signifier uniquement que le maître possède le droit d’appliquer la peine à son esclave, à l’exclusion de toute autre application des peines de manière générale. Dans Nayl Al-Awtâr, volume 7, page 129 [6], Ash-Shawkânî mentionne plusieurs événements allant dans le sens d’un droit qu’aurait le maître à appliquer les peines à son esclave. Il rapporte également d’après Ath-Thawrî et Al-Awzâ`î que cette prérogative se limite à la peine relative au délit de fornication, à l’exclusion de toute autre peine, tandis que les Hanafites interdisent au maître d’appliquer une quelconque peine à son esclave, jugeant que cette prérogative appartient au souverain, à l’instar de toutes les autres peines. Des opinions analogues ont également été rapportées dans Fath Al-Bârî par Ibn Hajar [7].

En résumé, même si des divergences existent entre les juristes concernant le droit du maître à appliquer les peines à son esclave, ils sont quasiment unanimes, en dehors de ce cas de figure, sur le fait que l’application des peines est une prérogative du souverain, fondant leur argumentation sur les dires de certains Compagnons, et non pas sur la base de textes issus du Coran et de la Sunnah. La sentence du Compagnon Abû `Abd Allâh est ainsi que : « L’impôt légal, les peines, la taxation des non-musulmans et la prière du vendredi sont des prérogatives du Souverain. » C’est cette opinion qu’il convient de suivre pour éviter que l’anarchie s’installe dans l’application des peines que le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — nous a ordonné de suspendre en cas de doute. Les peines discrétionnaires constituent un substitut permettant de satisfaire aux divergences de point de vue et de tenir compte des circonstances.

La Loi islamique incite à couvrir les fautes

Nous recommandons à ceux qui se retrouvent impliqués dans des crimes appelant une peine corporelle ou toute autre peine, notamment les crimes n’empiétant pas sur les droits d’autrui, de couvrir leurs fautes et de ne pas divulguer leur forfait. Que nul ne demande à ce qu’on lui applique une peine corporelle pour se laver de sa faute, car le repentir sincère est le meilleur moyen pour y parvenir. Couvrir ses fautes permet par ailleurs d’éviter que l’individu et la société soient considérés comme déviants. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit en effet : « Quiconque se trouve mêlé à ces saletés, qu’il se couvre de la
Couverture de Dieu car s’il nous expose son forfait nous lui appliquerons la peine prescrite. »
 [8] Il dit également au moment où il passa le pacte avec ses Compagnons et les engagea à s’écarter du polythéisme, de la fornication, du vol et du meurtre : « Quiconque se trouve mêlé à ces actes puis qu’il est couvert par Dieu, alors son cas sera jugé par Dieu, Qui S’il le souhaite lui pardonnera et s’Il le souhaite le châtiera. » [9]

Il convient également pour ceux qui ne sont pas impliqués dans des crimes, de couvrir les fautes des autres, après s’être acquittés auprès d’eux du devoir d’injonction au bien et de réprobation du mal, usant pour cela de sagesse et de bonne exhortation. Le Messager dit en effet à un homme de la tribu de Aslam, répondant au nom de Hazzâl, venu lui dénoncer un homme coupable de fornication : « Il aurait mieux valu pour toi de le couvrir de ta cape. » [10] Il dit aussi : «  Quiconque couvre les faiblesses de son frère, Dieu couvrira ses faiblesses le Jour de la Résurrection. Et quiconque dévoile les faiblesses de son frère, Dieu dévoilera ses faiblesses et jettera sur lui l’opprobre jusque dans sa famille. » [11] Couvrir les fautes d’autrui inclut le fait de ne pas prendre l’initiative d’accuser l’auteur du délit, sauf si l’on est appelé à témoigner, auquel cas on est obligé de répondre. Cet impératif de discrétion est de rigueur du moment que l’auteur du crime ou du délit n’est pas un malfaiteur invétéré car, dans ce cas, cela reviendrait à l’aider dans ses forfaitures, ce qui est illicite.

Et Dieu est le plus savant.

P.-S.

Traduit de l’arabe du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 216.

[2Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 251.

[3Conférer Nayl Al-Awtâr d’Ash-Shawkânî, volume 7, page 110, disponible en ligne sur le site Al-Eman.com.

[4Hadith rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh, disponible en ligne sur le site Al-Islam.com, et par Muslim dans son Sahîh, disponible en ligne sur le site Al-Islam.com.

[5Hadith rapporté dans cette version par Ahmad dans son Musnad, disponible en ligne sur le site Al-Islam.com. La faute dont il est question dans le hadith est le délit de fornication.

[6Conférer Nayl Al-Awtâr d’Ash-Shawkânî, disponible en ligne sur le site Al-Eman.com.

[7Conférer Fath Al-Bârî d’Ibn Hajar, disponible en ligne sur le site Al-Eman.com.

[8Hadith rapporté par Mâlik dans Al-Muwatta’, disponible en ligne sur le site Al-Islam.com.

[9Hadith rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh, disponible en ligne sur le site Al-Islam.com, et par Muslim dans son Sahîh, disponible en ligne sur le site Al-Islam.com.

[10Hadith rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunan, disponibles en ligne sur le site Al-Islam.com, et par An-Nasâ’î dans As-Sunan Al-Kubrâ, téléchargeable en ligne sur le site Almeshkat.com.

[11Hadith rapporté par Ibn Mâjah dans ses Sunan, disponibles en ligne sur le site Al-Islam.com.

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