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Les non-musulmans dans la société islamique
Section : Réponse aux accusations douteuses

Les vêtements des dhimmis

vendredi 14 juillet 2006

Parmi les questions exagérées par les orientalistes, il y a celle du code vestimentaire des dhimmis et le fait que `Umar Ibn Al-Khattâb — qu’Allâh l’agrée — leur aurait intimé l’ordre de ne pas chercher à ressembler aux musulmans au plan des vêtements, des selles et des sandales, et de porter sur la taille ou sur les épaules des signes distinctifs qui les différencieraient des musulmans. Ces dispositions ont aussi été attribuées à `Umar Ibn `Abd Al-`Azîz.

Certains historiens orientalistes doutent quant à l’attribution de ces conditions, ou commandements, au Calife juste `Umar Ibn Al-Khattâb — qu’Allâh l’agrée —, en raison de l’absence de toute mention à leur sujet dans les ouvrages fiables des historiens les plus anciens, et qui s’intéressaient à ce genre de sujets, à l’instar des ouvrages d’At-Tabarî, Al-Balâdhurî, Ibn Al-Athîr, Al-Ya`qûbî, et d’autres. [1]

Cela dit, cette affaire ne mérite pas que l’on se donne la peine de la contester ou de la réfuter, si l’on connaît les motivations et le contexte historique qui l’ont accompagnée.

Il ne s’agit pas d’un devoir religieux que l’on aurait l’obligation de perpétuer en tout temps et en tout lieu, contrairement à la compréhension de certains juristes qui y ont vu une prescription obligatoire. Cela n’est guère plus qu’une disposition légale contingente prise par le pouvoir en place en vue de réaliser l’intérêt général de la société à cette époque. Rien n’interdit que l’intérêt général change à une autre époque et en d’autres circonstances, et que, par conséquent, de telles dispositions soient annulées ou amendées.

La distinction entre les individus en fonction de leur religion était une nécessité à l’époque. Les adeptes des différentes confessions étaient eux-mêmes attachés à cette distinction, objectif que l’on ne pouvait alors réaliser que par le code vestimentaire. Car, à l’époque, les cartes d’identité, où l’on consigne aujourd’hui le nom de la personne, sa religion et même sa secte, n’existaient pas. C’est donc le besoin de distinguer les individus qui a motivé de telles dispositions. Ainsi aucun juriste musulman contemporain n’a suivi l’avis des anciens pronant la distinction vestimentaire, vu que cela n’est plus nécessaire.

C’est avec plaisir que je rapporte ici les propos de Dr. Al-Kharbûtlî éclairant cette question et ses motivations. Il dit [2] : « À supposer que ces prescriptions aient été édictées par les deux Califes, nous pensons que cela ne pose pas de problème. Car cela revenait à fixer un code vestimentaire au sein de la société, afin de distinguer les adeptes des différentes confessions. D’autant que cela avait lieu à une époque très ancienne de l’histoire, où il n’existait aucune carte d’identité portant les mentions habituelles de nationalité, de religion, d’âge etc. Les habits distinctifs constituaient le seul moyen de déterminer la religion de leur porteur ; les Arabes musulmans avaient leurs vêtements particuliers, tout comme les Chrétiens, les Juifs, les Zoroastriens avaient leurs vêtements particuliers. Si les orientalistes considèrent que fixer la forme et la couleur des vêtements relève de la persécution, nous leur répondons : si persécution il y avait dans ces conditions, alors elle a touché de manière égale les musulmans et les dhimmis. Car si les Califes recommandaient aux Arabes et aux musulmans de ne pas chercher à ressembler aux autres, il est logique qu’ils intiment aux non arabes et aux non musulmans de ne pas chercher à ressembler aux Arabes musulmans. »

L’historien Turton a également discuté de cette question. Son opinion consiste à dire : « Il ne fait aucun doute que la motivation sous-jacente aux règles vestimentaires était de distinguer facilement les Chrétiens et les Arabes. Cela est même énoncé très clairement chez Abû Yûsuf [3] et Ibn `Abd Al-Hakam [4]. Tous deux font partie des historiens les plus anciens dont les écrits nous sont parvenus. Il convient cependant de noter que, du temps des conquêtes, il était inutile d’imposer aux Chrétiens le port de vêtements particuliers, différents de ceux des Musulmans, car chacune des deux parties portait, de fait, des vêtements distincts. Les Chrétiens faisaient cela de leur propre chef sans aucune contrainte ni obligation. Mais le besoin apparut par la suite, après que les Arabes eurent pris part à la vie urbaine ; les populations qu’ils gouvernaient eurent tendance à les admirer et, partant, à imiter leur code vestimentaire et à chercher à s’habiller comme eux. »

Quoiqu’il en soit, si ces prescriptions d’ordre vestimentaires s’avéraient historiquement vraies, elles sont restées lettre morte la plupart du temps au fil de l’histoire. Il y a une différence entre l’existence d’une loi et son degré d’application. La majorité des califes et des gouverneurs musulmans ont adopté une politique de tolérance, de fraternité et d’égalité et ne se sont pas mêlés outre mesure de fixer un code vestimentaire pour les dhimmis, ce qui n’a guère suscité de protestation [5].

Il existe des preuves historiques appuyant les faits que nous avons mentionnés précédemment. Le poète chrétien Al-Akhtal (d. 95 A.H.) se rendait à la cour du Calife omeyyade `Abd Al-Malik Ibn Marwân vêtu d’une tunique arabe [6] assortie d’un phylactère en damas et d’une croix en or autour du cou, sa barbe suitant le vin [7], et ce dernier de lui réserver un bon accueil. De même, l’accord signé en 98 A.H. entre les Musulmans et les Mardaïtes (Jarâjimah) Chrétiens qui habitaient les régions montagneuses de la Syrie stipulait que ces derniers porteraient les mêmes vêtements que les Musulmans. [8]

Traitant du code vestimentaire des dhimmis, Abû Yûsuf dit : « On ne doit pas les laisser imiter les musulmans au plan des vêtements, de la monture, ou de l’apparence. » À ce sujet, Abû Yûsuf se fonde sur la parole de `Umar Ibn Al-Khattâb : « Afin que leur code vestimentaire soit distinct de celui des musulmans. » Autrement dit, il ne s’agit pas d’une forme de persécution mais d’un moyen visant à distinguer différentes populations, tout comme il existe aujourd’hui dans toute société moderne des codes vestimentaires différents, permettant de distinguer certaines catégories socio-professionnelles ou corps de métier.

P.-S.

Traduit de l’arabe du site qaradawi.net.

Notes

[1Conférer L’Islam et les dhimmis, pp. 84 et 85.

[2L’Islam et les dhimmis, pp. 86 et 87.

[3Abû Yûsuf, Al-Kharâj, page 72.

[4Ibn `Abd Al-Hakam, Futûh Misr, page 151.

[5Si la distinction vestimentaire était un devoir religieux, son non-respect par les califes n’aurait pas manqué de susciter des protestations parmi les Musulmans. NdT.

[6Une jubbah, une tunique longue qui se portait au dessus des vêtements. En français, ce terme est à l’origine du vocable juppe. NdT.

[7Al-Asfahanî, Al-Aghânî (Les chansons), volume 7, page 169. J’ai quelques réserves sur l’authenticité de ce récit, lequel fait partie des « chansons » auxquelles on ne peut beaucoup se fier. S’il s’avérait authentique, ce récit démontrerait le laxisme du Calife plus que sa tolérance.

[8Al-Balâdhurî, Futûh Al-Buldân, page 161, Beyrouth.

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