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Les péchés et leur influence sur le jeûne

lundi 2 décembre 2002

Question

La calomnie, la médisance et le fait de ne pas détourner son ouïe et son regard des choses interdites invalident-ils le jeûne ?

Que Dieu vous récompense au nom de l’Islam et des Musulmans.

Réponse du Docteur Yûsuf `Abd Allâh Al-Qaradâwî

Le jeûne est un culte visant à purifier l’âme, à revivifier la conscience, à renforcer la foi et à préparer le jeûneur pour qu’il fasse partie des pieux. Le Très Haut dit en effet : « On vous a prescrit le jeûne comme on l’a prescrit à vos prédécesseurs, afin que vous atteignez la piété » [1]. C’est pour cette raison que le jeûneur doit préserver son jeûne de tout ce qui pourrait l’entamer, voire le détruire. Il doit ainsi préserver son ouïe, son regard et ses sens de tout ce que Dieu — Exalté soit-Il — a interdit. Il doit garder sa langue chaste : ne pas prononcer de paroles inconsidérées ni obscènes, ne pas proférer d’insultes ni hausser le ton par colère, ne pas répondre à une offense par une offense mais plutôt y répondre avec bonté. Bref, il s’agit de faire du jeûne un bouclier contre le péché et la désobéissance à Dieu d’une part, et contre le châtiment divin dans l’au-delà d’autre part. C’est pour cette raison que nos prédécesseurs ont dit : « Le jeûne valide est celui où les sens s’abstiennent du péché, comme l’estomac et le sexe s’abstiennent de leurs plaisirs. »

C’est ce qui est souligné par les nobles hadiths et corroboré par les disciples de l’école prophétique [2].

Le Messager de Dieu — paix et bénédiction sur lui — dit : « Le jeûne est un bouclier. Lorsque l’un de vous jeûne, qu’il ne prononce pas de paroles obscènes et qu’il ne se mette pas en colère. Si quelqu’un l’insulte ou l’agresse, qu’il dise : « Je jeûne » deux fois. » (hadith consensuel narré par Abû Hurayrah).

Le Prophète dit également : « Celui qui n’abandonne pas le mensonge et les mauvaises actions, alors Dieu n’a pas besoin qu’il abandonne sa nourriture ni sa boisson. » (rapporté par Al-Bukhârî dans le chapitre du jeûne).

Il dit encore : « Combien de jeûneurs ne récoltent de leur jeûne que la faim ! » (rapporté par An-Nasâ’î et Ibn Mâjah d’après Abû Hurayrah ; rapporté également par Ahmad, Al-Hâkim et Al-Bayhaqî selon la variante : « Combien de jeûneurs ne récoltent de leur jeûne que la faim et la soif ! »).

Ainsi les Compagnons et les premières générations de Musulmans s’efforçaient-ils à ce que le jeûne purifiât leurs âmes et leurs sens de tout péché et de toute transgression.

`Umar Ibn Al-Khattâb disait : « Le jeûne ne consiste pas à se priver de boisson et de nourriture uniquement, mais il consiste également à s’abstenir du mensonge, de la fausseté et des paroles futiles. »

L’Ansârite [3] Jâbir Ibn `Abd Allâh dit : « Si tu jeûnes, alors fais jeûner ton ouïe, ton regard et ta langue du mensonge et du péché. Ne maltraite pas ton serviteur. Reste calme et serein le jour de ton jeûne et ne fais pas en sorte que le jour du jeûne soit identique au jour de non-jeûne. »

Talîq Ibn Qays rapporte que Abû Dharr dit : « Si tu jeûnes, alors préserve-toi du péché autant que possible. » Talîq avait l’habitude, lorsqu’il jeûnait, de ne pas sortir de chez lui sauf pour se rendre à la mosquée et y accomplir la prière.

Abû Hurayrah et ses compagnons avaient l’habitude, lorsqu’ils jeûnaient, de s’asseoir dans la mosquée, disant : « Nous purifions notre jeûne. »

Hafsah Bint Sîrîn, une femme parmi les Successeurs [4], disait : « Le jeûne est un bouclier qui protège son propriétaire tant que celui-ci ne le troue pas. Et il le troue lorsqu’il se met à calomnier. »

Ibrâhîm An-Nakha`î disait : « Nos prédécesseurs disaient que le mensonge rompt le jeûne. »

Maymûn Ibn Mahrân disait : « Le jeûne le plus facile est celui qui consiste à n’abandonner que la nourriture et la boisson. »

C’est pour cette raison que certains Musulmans des premières générations pensèrent que les péchés rompaient le jeûne. Ainsi, celui qui transgresse un interdit par la langue (comme la calomnie, le colportage ou le mensonge), celui qui prête l’oreille à un interdit (comme les grivoiseries ou le mensonge), celui qui regarde avec concupiscence un interdit (comme les parties privées et les éléments sensuels de la femme étrangère), celui qui porte la main vers un interdit (comme l’offense injuste d’un être humain ou d’un animal, comme l’extorsion d’une chose qui ne lui appartient pas), celui qui transgresse un interdit par son pied (comme se diriger vers la désobéissance à Dieu), bref celui qui commet un quelconque interdit, verra son jeûne rompu.

La langue rompt le jeûne, l’oreille rompt le jeûne, l’œil rompt le jeûne, la main rompt le jeûne, le pied rompt le jeûne, tout comme le ventre et le sexe le rompent. Telle était l’opinion de certains de nos prédécesseurs : tous les péchés rompent le jeûne ; celui qui commet un péché pendant le jeûne devra par conséquent rattraper. Cette conclusion découle de ce qui a été rapporté au sujet de certains Compagnons et de certains Successeurs [4]. C’est l’opinion adoptée par l’Imâm Al-Awzâ`î et c’est ce qu’a soutenu Ibn Hazm, disciple de l’Ecole littéraliste (dhâhiriyyah).

Quant à la majorité des savants, ils pensent que les péchés n’annulent pas le jeûne, bien qu’ils l’entachent et réduisent le profit que l’on peut en tirer, en fonction de leur gravité.

Cela est dû au fait que nul n’est infaillible devant le péché, sauf celui que Dieu a épargné. Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les péchés de la langue. C’est pour cette raison que l’Imâm Ahmad a dit : « Si la médisance rompait le jeûne, alors nous ne jeûnerions plus. » Cette phrase a été dite par l’Imâm Ahmad, et Dieu sait qui est l’Imâm Ahmad dans sa ferveur, son renoncement à la vie matérielle et sa piété. Que dirions-nous de nous-mêmes dans ce cas si lui-même disait cela ?!

Ces savants soutiennent que les péchés ne rompent pas le jeûne, contrairement à la nourriture et à la boisson. Néanmoins, ils peuvent partir avec la récompense du jeûne et faire perdre sa rétribution.

Le fait est que cette perte n’est pas légère pour les gens doués de sens ; et ne la négligent que les imbéciles. Ces derniers se contraignent en effet à la faim et à la soif, privant leur âme de ses désirs, puis, à la fin, ressortent du jeûne avec un capital de bonnes actions réduit à zéro.

L’Imâm Abû Bakr Ibn Al-`Arabî dit dans l’explication du hadith suivant « Celui qui n’abandonne pas le mensonge et à comettre de mauvaises actions, alors Dieu n’a pas besoin qu’il abandonne sa nourriture et sa boisson. » : « On comprend de ce hadith que celui qui commet les transgressions sus-mentionnées ne reçoit pas de récompense pour son jeûne. Autrement dit, la récompense du jeûne ne saurait faire le poids devant le mensonge et les autres péchés évoqués. »

L’érudit Al-Baydâwî dit : « La faim et la soif ne sont pas les buts visés par la prescription du jeûne. On vise plutôt ce qui s’ensuit en terme de mise en déroute des instincts concupiscents et de soumission de l’âme incitatrice au mal (an-nafs al-ammârah) à l’âme apaisée (an-nafs al-mutma’innah). Si cela ne se produit pas, alors Dieu ne regardera pas le jeûne avec satisfaction. C’est pour cette raison que le Prophète dit : « Dieu n’a pas besoin » ; par métaphore de l’absence de l’agrément divin. Le Prophète a ainsi omis la cause pour exprimer la conséquence sous-jacente. [5] »

Le jeûne pendant le mois de Ramadân en particulier est une occasion de se purifier des péchés accumulés durant les onze mois précédents. Quiconque jeûne alors de manière sincère et dévouée devient digne de ressortir de ce mois, expié de toutes ses fautes et purifié de tous ses péchés, en particulier les péchés mineurs (Saghâ’ir) que l’être humain commet jour et nuit, qu’il soit au repos ou en activité. Ces péchés mineurs peuvent être considérés de petite importance par celui qui les commet alors qu’il ne se rend pas compte que leur accumulation peut le ruiner et précipiter sa perte.

Le Messager — paix et bénédiction sur lui — dit : « Les cinq prières quotidiennes, la prière d’un vendredi sur l’autre, le Ramadân au Ramadân suivant, expient les péchés commis entre-temps, tant qu’on s’écarte des péchés majeurs (Kabâ’ir). » (rapporté par Muslim d’après Abû Hurayrah).

Nul n’ignore le hadith consensuel : « Quiconque jeûne le mois de Ramadân avec foi et dévotion sera expié des fautes qu’il aura commises auparavant. »

Celui qui souille donc son jeûne par des péchés de l’ouïe, du regard, de la langue ou des sens de manière générale aura perdu l’occasion de se purifier et ne méritera pas le pardon promis par Dieu, voire il sera susceptible d’être atteint par la mise en garde lancée par Gabriel — paix sur lui — et à laquelle souscrivit le Prophète — paix et bénédiction sur lui — concernant « Celui vit jusqu’au mois deRamadân sans sans mériter le pardon de Dieu, Dieu l’éloignera de Lui. » (rapporté par Ibn Hibbân dans son Sahîh d’après Al-Hasan Ibn Mâlik Ibn Al-Huwayrith ; un hadith authentique et similaire est rapporté d’après Abû Hurayrah et Ka`b Ibn `Ajrah).

Et Dieu est le plus savant.

P.-S.

Traduit de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 183.

[2c’est-à-dire les Compagnons du Prophète.

[3On désigne par ce terme les Médinois musulmans qui accueillirent le Prophète lors de l’Hégire.

[4Les Successeurs sont la génération de Musulmans suivant celle des Compagnons.

[5Il s’agit plus précisément d’un style littéraire appelé métonymie en français ou majâz mursal en arabe.

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