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Chagrins d’un prédicateur
Section : Notre situation avant les grandes défaites historiques

Méditations sur l’Histoire

samedi 19 juin 2004

L’histoire relate :

Les Croisés attaquèrent le monde musulman après que les ravins insondables de la division eurent séparé ses contrées, si bien qu’elles se guettaient mutuellement, les unes espérant la destruction des autres. Voici que l’État fatimide en Afrique du Nord et en Égypte livre la guerre à l’État abbasside installé en Irak, en Syrie et dans le Hijâz, tandis que l’État omeyyade en Andalousie souhaite le trépas des deux partis afin que leur héritage juteux tombe dans son escarcelle. Occupés par leurs rancœurs, les frères ennemis ne sentaient pas la marche croisée qui venait de l’Ouest, ni celle des Tatars qui venait de l’Est !

L’islam agrée-t-il ces basses rancœurs ? Attendrait-il de leurs auteurs de servir ses principes et ses lois ?

Je n’étais point dupe des titres pompeux que se donnaient ces gens, mais qui ne traduisaient guère leur pied ferme dans la religion ni leur rang dans ce bas-monde !

Le Calife abbasside Al-Qâ’im Bi-Amr Allâh (Le Garant de l’Ordre de Dieu) prit la fuite après la chute de Bagdad entre les mains des Fatimides, mais fut emprisonné par un bédouin. Le roi seljoukide Tughrulbak vola alors à son secours et lui rendit sa capitale. Pour lui témoigner de sa gratitude, le Calife lui donna sa sœur en mariage, l’affubla du titre de "Roi d’Orient et d’Occident" et lui donna tous les pouvoirs dans son empire ! Puis le roi seljoukide décéda et lui succéda son neveu Alb. De même, le Calife abbasside décéda et lui succéda un autre Abbasside, âgé à peine de dix-neuf ans, qui se fit appeler Al-Muqtadî (Celui qui suit l’Ordre de Dieu).

Ce jeune homme de noble descendance n’était point apte à diriger son empire, lequel fut prit en charge par un autre seljoukide, du nom de Malikshâh, fils de Alb Arsalân qui avait décédé après une vie pleine de jihâd...

L’histoire relate :

Malikshâh devint tyrannique et méprisa le Calife au point d’ordonner à ce dernier de quitter Bagdad. Le Calife le supplia de lui accorder un sursis d’un mois, puis après moult supplications, il obtint un sursis de dix jours, pas un de plus ! Toutefois, Dieu voulut que Malikshâh meure avant l’écoulement du délai. Son épouse tut alors la nouvelle de son décès et alla voir le Calife menacé lui demandant de nommer son fils à sa place. L’enfant en question n’avait que cinq ans, mais ceci n’empêcha pas le Calife Al-Muqtadî de lui donner le pouvoir et de lui accorder le titre de Nâsir Ad-Dunyâ Wad-Dîn (Le Secoureur du bas-monde et de l’au-delà) !!

A-t-on jamais vu de telles bouffonneries ? Que de telles facéties puissent avoir lieu au nom de l’islam dans la capitale de l’islam, les bras en tombent.

Quand ces inanités se produisaient-elles ? Pendant que les rois d’Europe, le Pape du Vatican et les hommes d’Église tonnaient la nécessité de se venger des musulmans et d’anéantir la religion de Muhammad !

Mais l’écho de ces hurlements n’atteignit point les oreilles des hommes politiques dans nos pays, noyés qu’ils étaient dans leurs passions individuelles et leurs ambitions ethniques. Ils ne retinrent de l’islam qu’une seule chose : la Révélation Suprême était descendue du ciel pour privilégier les membres de leur famille. Ainsi, après six siècles, plus ou moins, de l’avènement de l’islam, un pauvre jeune homme parmi les descendants d’Al-Abbâs, pensait-il être digne de gouverner le monde musulman ! De même, son homologue parmi les descendants de Umayyah pensait que les musulmans de la côté atlantique lui devaient obéissance : ses glorieux ancêtres n’étaient-ils pas autrefois des chefs dans le désert mecquois ? D’ailleurs, si l’islam devait se propager jusqu’à la rive ouest de l’Atlantique et était embrassé par les habitants des deux Amériques, ne faudrait-il pas qu’ils se pliassent à son pouvoir, vu qu’il était Qurayshite ?

Il suffirait au moindre esclave impotent de se prévaloir de cette descendance pour réclamer une responsabilité à laquelle il n’entend strictement rien. Et le plus étrange est que le Porteur du Message dit à sa fille Fâtimah : "Ô Fâtimah, fille de Muhammad, œuvre pour toi-même car je ne te serai d’aucun secours auprès de Dieu." Puis vinrent des gens prétendant, pour de vrai ou pour de faux, être des descendants de Fâtimah et qui, en vertu de cette descendance, revendiquèrent le leadership des musulmans !

À vrai dire, les organes principaux de l’État musulman furent très vite paralysés par ce genre de prétentions puériles. L’accaparation du califat par des vauriens infligea à la communauté musulmane des blessures profondes la vidant de son sang et faisant d’elle une proie facile pour ses ennemis. De plus, le spectacle de l’incapacité criante des enfants de ces nobles familles encouragea d’autres gens, ambitieux et capables, à les écarter du pouvoir et à l’accaparer pour eux-mêmes. Et lorsque l’ambition et l’arrivisme se répandirent, nombreux furent les prétendants au pouvoir ; tout un chacun possédant suffisamment d’armes et d’argent pouvait briguer le pouvoir... Dans ces circonstances, il était naturel que les âmes braves, nobles et pieuses se fassent discrètes. Que pouvaient-elles bien faire ? Et avec quelles armes ?

Mais fermons cette parenthèse et revenons aux contrées de l’islam peu de temps avant la première croisade, tandis que les descendants d’Al-`Abbâs, ceux de Fâtimah et ceux de Umayyah rivalisaient pour s’emparer des rênes du monde musulman.

Dans une bonne présentation d’Ibn Al-Jawzî, écrite par Sheikh `Alî Muhammad Yûsuf de la Faculté de droit islamique à l’Université du Qatar, on trouve la description suivante de l’état des musulmans à la veille de la première attaque croisée : "Pendant qu’ils étaient au plus profond de leurs divisions, émergea un ennemi arborant la croix comme emblème et visant à les achever et à éradiquer l’islam !

La première croisade eut lieu en l’an 492 A.H. Ibn Al-Jawzî dit à ce propos : « Les nouvelles faisaient état de la chute d’Antioche entre les mains des Francs. Ensuite, ces derniers assiégèrent Ma`arrat An-Nu`mân et s’y livrèrent à des massacres et à des pillages. On dit aussi qu’ils massacrèrent soixante-dix mille personnes à Jérusalem et qu’ils étaient venus dans une armée d’un million d’hommes... »"

Arrêtons-nous un instant sur la phrase d’Ibn Al-Jawzî : « On dit aussi qu’ils massacrèrent soixante-dix mille personnes » ! Ainsi, cette affaire n’est guère plus qu’une rumeur pour lui et pour les habitants de Bagdad, la capitale du califat musulman ! La capitale du califat est la dernière à être au courant. Comment pourrait-il en être autrement alors que les politiques sont occupés à poursuivre toutes sortes de délices et de jouissances et à se battre pour le pouvoir ?

Le pouvoir était un butin qui méritait que l’on prenne des risques pour lui. Dites à ces pourritures de califes que `Umar Ibn Al-Khattâb préféra écarter son fils du califat afin de lui épargner ses lourdes charges et ses peines, disant : « Il suffit à la famille d’Al-Khattâb qu’un seul de ses membres soit responsable devant Dieu de la communauté musulmane. »

Le califat était du temps des grands hommes une charge et une peine. Puis il devint une vache à lait du temps des roitelets affamés. Lorsque les Croisés attaquèrent la Palestine, la communauté musulmane était profondément divisée. Si le massacre de Jérusalem n’avait pas dépassé toutes les limites de l’horreur, au point qu’on ne pouvait même pas dénombrer ses victimes, les dormeurs ne seraient pas sortis de leur torpeur.

Puis le califat musulman ne tarda pas à payer sa paresse au prix fort lorsque les Tatars l’envahirent et en firent une vieille histoire, en dépit des titres trompeurs de Mustarshid Billâh (Celui qui suit la Voie de Dieu), de Muqtaf Li-Amr Allâh (Celui qui respecte l’Ordre de Dieu), de Mustanjid Billâh (Celui qui demande le Secours de Dieu), de Nâsir Li-Dînillâh (Le Secoureur de la Religion de Dieu), etc.

Les présomptions ne dispensent guère de la vérité, alors que dire du mensonge criant ? Si les musulmans ne font pas preuve de sincérité vis-à-vis de Dieu, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes.

P.-S.

Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Humûm Dâ`iyah, éditions Nahdat Misr, troisième édition, décembre 1998.

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