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Défense du dogme et de la loi de l’Islam contre les atteintes des orientalistes
Section : Les Sectes

Le hadith de la scission de la Communauté : sa valeur, sa signification

lundi 28 juin 2004

Il nous reste le hadith de la division de la Communauté « Des soixante-dix sectes, toutes iront en Enfer, sauf une » qui nécessite explication. Qui pourrait bien être la secte sauvée ?

C’est celle qui s’en tient à la Sunnah du Messager et de ses Compagnons ; c’est, d’après une variante de ce hadith, la Communauté.

Et quel Musulman ne suit pas méticuleusement le Prophète dans ses pensées et dans ses actions ?

Le Salaf et le Khalaf [1], les Sunnites et les Shîʿites, les Soufis et les philosophes, tous estiment qu’ils servent l’Islam, qu’ils soutiennent son Prophète et qu’ils élèvent sa bannière.

Il sera difficile de convaincre les littéralistes, qui s’en tiennent à la lettre du texte, que l’école des rationalistes est plus digne de la vérité que la leur. Et la réciproque est tout aussi valable ! Il sera difficile de convaincre les sentimentalistes, qui s’en tiennent à ce que leur dicte leur cœur, que l’école des juristes est plus fondée et plus digne d’être suivie que la leur. Et la réciproque est tout aussi valable ! Il sera difficile de convaincre les Shîʿites, qui sont éperdument amoureux de la Famille du Prophète, que le système républicain, consistant à élire et à révoquer le dirigeant, est plus digne que le rassemblement autour d’un descendant du Messager auquel on attribue l’infaillibilité. Et la réciproque est tout aussi valable.

Par ailleurs, nous refusons les propos de ce poète qui disait au sujet de toutes ces écoles :

Wa kulluy-yaddaʿî waslal-li-laylâ *** Wa laylâ lâ tuqirru lahum bi-dhâkâ

Traduction :

Tous prétendent avoir une liaison avec Laylâ, mais Laylâ ne donne raison à aucun d’entre eux.

Tout comme nous refusons de considérer que la vérité est un fluide qui s’écoule et qui se colore au gré des récipients, n’ayant pas de limites stables, connues par les uns et méconnues par les autres.

« Certes, la religion acceptée par Dieu, c’est l’Islâm. » [2]

Ainsi, toute personne abandonnant son être à Dieu, emplissant son cœur du monothéisme et soumettant ses sentiments à l’Ordre de Dieu, est musulmane. Tant qu’elle atteste de la véracité du Coran et qu’elle y puise ce dont elle a besoin, tant qu’elle croit en Muhammad et qu’elle suit sa Tradition, elle est excusée pour tout effort de compréhension de la religion qui se solde par un échec. La sincérité de l’intention nous porte à ne rien dire de plus de notre contradicteur sinon que son opinion est erronée ; nous ne devons pas nous permettre de le qualifier de pervers ni de rebelle.

A chaque fois que je lis l’Imâm, Sheikh de l’Islam, Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyah et l’Imâm, Argument de l’Islam, Abû Hâmid Al-Ghazâlî, je me retrouve en face de deux hommes entièrement dévoués à Dieu, consciencieux dans la quête de la vérité, et sincères dans les conseils prodigués à la masse des Musulmans. Pourtant, leurs conceptions sont, à l’évidence, divergentes, et leurs méthodologies n’ont très clairement rien à voir entre elles.

Rien de tout cela ne me permet néanmoins d’accuser l’un d’eux d’avoir une foi altérée. Bien au contraire, je considère cela comme un manque de respect envers Dieu, et une calomnie à l’encontre des meilleures de ses créatures. Certes, je peux dire - et d’autres que moi peuvent dire : ceci est faux, cela est juste, Abû Hâmid se trompe, Ibn Taymiyah exagère.

De larges possibilités sont ouvertes dans le domaine de la critique intellectuelle, pour exprimer son approbation ou sa désapprobation de tel ou tel point de vue.

En étudiant de manière approfondie les arguments des uns et des autres et en exposant rigoureusement les conséquences qu’ils impliquent devant des spécialistes, on parvient en effet à comprendre de nombreuses vérités qu’on ne saurait mettre en évidence sur les champs de la polémique stérile ou dans les débats qui se transforment en combats de coqs...

Par conséquent, la secte sauvée mentionnée dans le hadith que nous avons rapporté - à supposer qu’il veuille bien être authentique -, n’est pas une secte particulière parmi celles qui ont porté un nom spécifique dans l’Histoire de la Communauté islamique. La secte sauvée compte dans ses rangs les chercheurs de vérité, d’où qu’ils viennent et même s’ils se trompent de chemin, du moment que leur intention demeure sincère, que leur souci premier est la sauvegarde de la Communauté des Musulmans et qu’ils s’acquittent des devoirs religieux qui leur incombent, en termes de prière, de lutte dans le Sentier de Dieu, d’injonction au bien, de réprobation du mal et autres préceptes prônés par l’Islam.

Quant aux autres sectes que le hadith promet à l’Enfer, il s’agit des groupes dont les intentions sont trompeuses, même s’ils parviennent à la vérité. Ce sont ceux qui, à des fins de pouvoir, n’hésitent pas à tuer pour gagner l’autorité ou pour tirer profit de ce bas-monde, tout en négligeant des commandements et des prohibitions légiférés par Dieu - Exalté soit-Il...

Nous aimerions citer à ce propos les paroles du Sheikh ʿAbd Al-Jalîl ʿÎsâ qui confirme, dans son livre Mâ lâ Yajûzu fîhi Al-Khilâf (Ce sur quoi il n’est pas permis de diverger), ce que nous venons d’établir. Il dit dans les pages 135 à 137 de son livre :

« Dans son ouvrage Târîkh Al-Jahmiyyah Wal-Muʿtazilah (L’Histoire des Jahmites et des Muʿtazilites) [3], conservé à la Bibliothèque Nationale d’Égypte sous le numéro 2842, dans la section Histoire, le Sheikh Jamâl Ad-Dîn Al-Qâsimî Ad-Dimashqî a consacré une section entière pour démontrer que les Muʿtazilites et les Murji’ites [4], ainsi que de nombreuses autres sectes musulmanes, sont des savants comme les autres, des mujtahidûn qui ont accompli un effort de compréhension des textes, et qui bénéficient, comme les autres mujtahidûn, de la récompense divine lorsqu’ils voient juste et du droit à l’erreur lorsqu’ils se trompent.

Par effort de compréhension des textes ou ijtihâd, nous entendons non seulement tout ce qui concerne les branches secondaires du Fiqh ou jurisprudence islamique, mais aussi tout ce qui touche au Kalâm ou théologie. Car le mot ijtihâd porte toutes ces significations, que ce soit du point de vue de la sémantique ou de celui de la terminologie religieuse consacrée.

Et comment ne pourrait-on pas compter les sectes de savants qui s’intéressent aux fondements de la religion au nombre des mujtahidûn, alors que ces sectes argumentent leurs opinions en s’appuyant sur le Coran et la Sunnah, et estiment que seul ce qui leur semble découler de ces deux sources est vrai, à l’exception de toute autre argumentation ?

Puisque certains versets ou hadiths ont un sens équivoque - comme par exemple le fait que l’homme puisse voir Dieu - Exalté soit-Il - le Jour de la Résurrection, ou le fait que l’homme crée lui-même ses actions, ou le fait que le Coran soit créé ou incréé -, chaque secte a adopté l’opinion qui lui paraissait la plus conforme à la Parole de Dieu et de Son Messager et la plus seyante à la grandeur de ladite Parole.

En cela, ils étaient donc des mujtahidûn, puisqu’ils fournissaient un effort pour comprendre au mieux les textes sacrés. Et ils seront récompensés pour cet effort ou ijtihâd, même si les uns sont plus proches de la vérité que les autres. »

Il ajoute : « Il n’est pas permis de médire dans l’absolu des disciples de ces sectes. Les Imâms du Hadîth ont été, en effet, à l’école d’un grand nombre d’entre eux ; les premiers ont rapporté la Sunnah prophétique sur l’autorité des derniers, les plaçant ainsi au rang de témoin entre leur Seigneur et eux-mêmes.

Al-Bukhârî, Muslim et bien d’autres compilateurs ont en effet rapporté des hadiths sur l’autorité d’un grand nombre de Muʿtazilites, de Abâdites [5], de Murji’ites et de Shîʿites, comme nous pouvons le constater dans les introductions de Fath Al-Bârî Li-Sharh Sahîh Al-Bukhârî, d’At-Tadrîb Sharh At-Taqrîb d’As-Suyûtî ou de Mîzân Al-Iʿtidâl d’Adh-Dhahabî. L’Imâm Ahmad - que Dieu l’agrée - dit pour sa part : « Si nous devions délaisser la narration des Muʿtazilites, nous délaisserions la majorité des habitants de Bassora. »

Ibn Taymiyah dit d’ailleurs au sujet des Muʿtazilites : « Parmi eux, il y avait de très nombreux savants et ascètes. »

Al-Bukhârî et Muslim ont eux-mêmes rapporté des hadiths narrés par des Muʿtazilites. Pourtant, une idée répandue chez les savants était que, parmi les narrateurs de hadiths, ceux qui prêchaient des innovations n’étaient pas retenus comme dignes de confiance. Al-ʿIrâqî s’est néanmoins opposé à cette idée, montrant qu’Al-Bukhârî et Muslim ont accepté l’autorité narrative d’hommes ayant prêché les conceptions de leurs sectes respectives.

Al-Bukhârî s’appuie ainsi sur l’autorité du Khârijite ʿImrân Ibn Hittân, tandis que Muslim et lui-même s’appuient sur l’autorité de ʿAbd Al-Hamîd Ibn ʿAbd Ar-Rahmân Al-Hamdânî, qui était un prédicateur de Murji’isme. »

Al-Qâsimî écrit enfin : « De manière générale, le fait que ces sectes aient fourni un ijtihâd et qu’elles soient à considérer au même titre qu’un mujtahid ne devrait susciter aucun doute chez les personnes objectives.

A l’unanimité des savants, on sait que le mujtahid est excusé, voire récompensé, lorsqu’il se trompe. Et puisque le mujtahid ne commet pas de péché en se trompant, comment peut-on dès lors l’insulter et le gratifier de toutes sortes de sobriquets méprisants ? Rien n’a autant divisé, scindé et anéanti la Communauté que ces insultes réciproques et ce réprouvable mépris mutuel, malgré toute la fraternité islamique qui est censée nous unir.

Al-Muqbilî a véritablement fait preuve d’une impartialité à toute épreuve lorsqu’il a tenu dans son livre Al-ʿAlam Ash-Shâmikh, au sujet des Muʿtazilites, les propos suivants : « Je ne suis ni Muʿtazilite ni Ashʿarite. Je n’accepte d’être rattaché qu’à l’Islam et au Porteur de la Loi - que la paix soit sur lui. Je considère que nous sommes tous frères et que nous œuvrons tous en commun au service de la vérité. » »

P.-S.

Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.

Notes

[1Le Khalaf désigne les générations postérieures de Musulmans, tandis que le Salaf désigne les générations antérieures. NdT

[2Sourate 3 intitulée la Famille d’Amram, Âl ʿImrân, verset 19.

[3Les Jahmites sont une secte remontant à Jahm Ibn Safwân.

[4Les Murji’ites sont une secte qui affirme que « le péché n’altère pas la foi ».

[5Les Abâdites sont une secte khârijite modérée.

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